Alsciaukat
| Sujet: Fragment #61 - Le remède 13.04.08 10:33 | |
| Vendredi 16 mars 2007 à Tours Le vin sait revêtir le plus sordide bouge D’un luxe miraculeux, Et fait surgir plus d’un portique fabuleux Dans l’or de sa vapeur rouge, Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
Pourquoi des maths ? Pour l’argent. Parce qu’ainsi j’ai l’esprit empli. Ou bien… pas tant que ça, finalement. Ce poème ne sort plus de mon crâne. La poésie n’est-elle pas bien plus envahissante que n’importe quelle science, aussi complexe et prenante soit-elle ?... Rien qui m’emporte l’esprit, Qui me détache l’âme dans un tourbillon Dont la marque du sillon Ne peut être mise à prix, Tel le bonheur ardent que nous éparpillons.
Une vie à écrire. Qu’est-ce qui vaut vraiment le coup ? L’esprit ou le corps ? Quel confort est le plus important ? Puis-je être heureux en ayant du mal à boucler mes fins de mois ?...
L’opium agrandit ce qui n’a pas de borne, Allonge l’illimité, Approfondit le temps, creuse la volupté, Et de plaisirs noirs et mornes, Emplit l’âme au-delà de sa capacité.
Je ne suis plus la correction de l’exercice. Je n’entends plus parler le professeur. Je sens intensément la présence de Marie à côté, sans réussir à comprendre ce qu’elle peut être en train de faire. J’écris.
Rien qui m’arrache le corps, M’étourdisse les sens en une lueur vive Dont la trace qui dérive En un écarlate accord Me fasse regretter qu’à jamais je ne vive.
Ce poème qui défile derrière mes yeux et m’empêche d’écrire en toute conscience quelque chose qui n’y ressemble pas en quelque point. Je veux l’originalité, je ne parviens pas à l’atteindre, car j’ai le sentiment que ce modèle est impossible à dépasser. Ou alors… avec du travail… un travail que je ne puis réellement me permettre… Tout cela ne vaut pas le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voir à l’envers, Mes songes viennent en foule Pour se désaltérer à ces gouffres amers.
Les yeux… Je comprends tout ce qu’il a voulu dire, chacun de ses mots me pénètre, et me laisse finalement inchangé, tant j’en suis déjà imprégné. Je connaissais l’œuvre avant même de la lire. Écrite en moi.
Et pourtant, toi, tes cheveux, Clairière de repos dont les herbes recèlent Une mélodie, de celles Qui n’ont pas besoin d’aveux, Éveille quelque part en moi cette étincelle.
Les mots coulent, tout s’enchaîne et se lie. La structure est naturelle. Les rimes sont naturelles. La ponctuation est naturelle. Il n’y a plus rien autour, à part une forme chaude à gauche, qui irradie chacun des mouvements de mon poignet.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige De ta salive qui mord, Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord Et, charriant le vertige, La roule, défaillante, aux rives de la mort.
La mort, qui n’en est bien sûr pas une. C’est l’inverse. L’apogée. La renaissance dans l’acidité liquide. La perfection incarnée en quelques mots. Et pourtant, toi, en mes veines, Conduits de mon pétrole dont l’inertie luit, Flots tourmentés, et qui fuient En eaux de joies ou de peines, Tu me fais te vouloir autant que je le puis.
Je soupire, longuement. Marie se penche sur ma feuille pour lire, tandis qu’au tableau le professeur poursuit la correction. Un peu plus loin, deux élèves rient doucement pour ne pas être réprimandés. Je cligne des yeux. Les abaisse sur le poème. Une copie. La même chose. En moins bien. Marie me sourit, et me dit que c’est joli. Je la regarde en coin, sans pouvoir cacher une sorte de peine bien involontaire. Pour contrer l’interrogation qu’elle va me lancer, je lâche un petit rire, remercie, et regarde l’exercice. | |
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