Alsciaukat
| Sujet: Fragment #90 - Le terrier du Blaireau 13.04.08 16:50 | |
| Lundi 18 juin 2007 à Tours L'année touche à sa fin ; cette ambiance de relâchement et de gaieté ambiante est presque tangible autour de moi. Je sens ses tentacules me frôler pour aller s'abattre sur les autres, s'écraser sur leur lassitude pour leur donner la brève impression que, finalement, ce n'était pas une si grande affaire que ça, la prépa, et que de toute façon les vacances sont presque là. Quelques uns ont une mine moins réjouie ; il s'agit de ceux qui ne sont pas encore certains d'être acceptés en seconde année, et qui attendent le conseil de classe avec appréhension. Ce matin j'ai rencontré les deux professeurs principaux, monsieur Racine et madame Deguizer, respectivement professeurs de Physique Chimie et de Mathématiques. L'entretien n'a guère été long : j'ai ma place en MP étoile, la classe la plus cotée du lycée. Je crois que même mes professeurs ne m'aiment pas, malgré mes résultats brillants. Sans doute est-ce du à mon imperméable mutisme en cours, ou bien à l'aversion quasiment généralisée que me porte la classe. Mais ils n'avaient pas le choix. Si je n'y allais pas, personne n'y allait. J'aime l'idée que cela puisse leur faire mal au coeur d'être contraint de m'en laisser l'accès. Je regarde la copie que je viens de recevoir, du dernier devoir commun aux trois classes de MPSI. J'ai eu la meilleure note du lycée, sans surprise. Comme d'habitude, le devoir était sur plus de 20 points, et j'ai réussi cette fois-ci à dépasser le 20. Tandis qu'est commenté le corrigé par notre professeur, je sens soudain une fièvre se saisir de moi, qui m'avait laissé en paix ces derniers temps ; c'est cet irrépressible besoin d'écrire, cette sensation que quelque chose doit être mis sur papier. C'est pire. Je cherche une zone dégagée sur le corrigé, et les mots s'alignent seuls, sans que je sache d'où ils viennent.
Numéro : étranger. Aime tout ce qui luit.
Je n'ai pas le temps de réfléchir à ce que je viens d'écrire ; la suite me vient déjà.
Alternance sans fin de la lumière et l'ombre Tamise doucement les troncs venus en nombre, Hommes de bois, figés, sur qui tombe la pluie.
Je souffle une seconde. Pourquoi la pluie ?... Hier le temps était horrible, mais aujourd'hui je sens la chaleur du soleil s'infiltrer entre la toile de mon pantalon et mes jambes, sans que le courant d'air provenant de la fenêtre ouverte parvienne vraiment à me rafraîchir.
Alternance infinie entre le vide et l'eau Noyant sous un rideau la forêt immobile Battant avec fureur les restes de la ville, Lavabos échoués, carcasses de vélos.
C'est la suite. La suite du Cycle, je le sais. Cette idée d'abandon, d'apocalypse, fait écho à la fin du cycle, qui s'est écrit dans le désordre. Je l'ai relu, chez moi, et j'ai réussi à classer chaque sonnet. Dans le dernier, celui qui clôturait les onze, l'humanité était en ruine, et les humains tremblaient devant les Corbeaux. Abrité de l'orage, caché sous la terre Irriguée par la pluie qui ne s'arrête plus Rumine le corbeau au regard délétère.
Les mots continuent de venir sans que je puisse maîtriser quoi que ce soit. Je sens que je suis contraint d'utiliser ceux-ci, et ceux-ci uniquement. Ils signifient plus qu'ils ne paraissent.
Et comme il y avait longtemps qu'il n'avait plu, Aspergé par l'averse, croule le terreau. Un couple d'yeux observe, immobile blaireau.
Je ne comprends pas. Pourquoi le blaireau ? Que vient-il faire là ? Pourquoi le corbeau se réfugie-t-il dans son terrier ? Autour de moi, tout le monde range les corrections pour sortir le cours et le poursuivre. | |
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