Bételgeuse
| Sujet: Fragment #42 - Soirée ciné 13.04.08 17:10 | |
| Vendredi 25 août 2006 à Dijon Au sortir de la salle de ciné climatisée, la chaleur du hall nous entoure brusquement de ses bras confortables, souffle sur nos joues, et nous donne envie de rester encore un peu ici, dans ce cocon douillet de douceur et de couleur rouge. Pourquoi tous les cinémas ont des tapis rouges ? Je n’ai pas rêvé, n’est-ce pas, ils en ont tous ? Est-ce pour que l’on se prenne nous-même pour des acteurs ? Les acteurs de nos vies, tout simplement, aucun besoin de tout ce cirque. Noura sort la première, je la suis de peu, et la fraîcheur de cette soirée d’août me mord les pommettes. Elle me dit qu’elle se ferait bien un Magnum. « Tu me suis ? » J’hésite quelques secondes, puis accepte. Nous redescendons sur la place Darcy ; des gens attendent la prochaine séance, des jeunes fument et boivent sous l’arche ; vendredi ordinaire, le monde tourne toujours. Elle me parle de ses horaires de boulot, de l’équipe qui est sympa, sauf la blondasse qui n’a pas de seins, du ménage à 22h, et quand est-ce que je vais me trouver un travail ? Cette dernière phrase me fait sursauter, et je me rend compte que j’écoutais sans prêter attention à ce qu’elle me dit. Je répond que je garde quelques gosses, de ci, de là. On décide d’acheter nos glaces au Kebab à côté du ciné Darcy. Je me penche sur le congélateur, et annonce qu’il ne reste que des chocolat blanc ou noir. On entre, une odeur d’huile grillée saute à mes narines, et, en attendant que le mec de devant obtienne son kebab, Noura, rondeurs fières et regard pétillant, me dit qu’elle a trop faim. La réponse à cette remarque m’est épargnée. Le mec de devant est servi, je demande un Magnum blanc, « Deux ! » lance Noura, je donne 2€50, elle tend 2€30, il me rend mes 20cts, « Au revoir », puis nous sortons. Nous retournons nous asseoir sur le rebord de la banque à côté du Devosges. Nos glaces sont déjà nues ; mes dents cassent le bout en chocolat blanc, la première bouchée, sucrée, douce, froide, me fait frissonner. Noura me dit qu’elle aimerait se trouver un mec, maintenant qu’elle a du boulot. Je lèche la glace crémeuse à m’en mettre plein la langue. Elle parle de son chat siamois qu’elle vient d’adopter ; je me retiens de lui faire remarquer qu’à ce prix-là, je dirais plutôt « acheter ». Bientôt, le chocolat de couverture n’est plus qu’un souvenir divin dans le fond de ma gorge. J’enfile le reste de la glace dans ma bouche, puis la ressort en m’en couvrant les lèvres. Je l’entend qui continue à parler, mais déjà, je ne l’écoute plus : un fin trait rouge s’est imprimé sur la vanille fondante. Ma première pensée fait le lien avec le fait que j’ai mes règles, mais cela n’a aucun rapport. Je recommence l’opération. De nouveau, un fil rouge dans l’onctuosité à l’état pur. J’essaie de donner la réplique tout en me demandant d’où cela peut-il bien venir ? Mes lèvres sont peu-être gercées ? Discrètement, je passe ma langue dessus, mais ne sens rien. A nouveau, je fais entrer puis sortir la glace de ma bouche. Il me semble parfois que mon sang coule à flots, Ainsi qu’une fontaine aux rythmiques sanglots. A nouveau, le même trait rouge, qui ondule de bas en haut. Elle s’esclaffe ; je fais de même. Passe à nouveau ma langue sur le rebord de mes lèvres. Apparemment, ça vient d’en haut, donc j’oublie la lèvre inférieure. Bientôt, il ne me reste plus que le bâtonnet à lécher, un peu rêche, la langue y accroche un peu. Je l’entends bien qui coule avec un long murmure, Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure. Ma Noura a fini sa glace depuis un moment, et je me demande comment elle a fait, car il ne m’a pas semblé qu’elle interrompait le flot de ses paroles. Je trouve enfin, un petit accroc sur la partie droite de la lèvre supérieure, à l’intérieur. Minuscule. Qui aurait pu penser que ce tout petit bout de chair à moitié arraché pouvait laisser passer assez de sang pour former une ligne visible ? Je joue encore avec le tout petit trou quand un mec passe devant nous, plutôt jeune. Un autre l’accoste « Excusez-moi, je pourrais vous acheter une cigarette ? » C’est la première fois que j’entends ça ! Je ne capte pas la réponse, qui doit être négative puisque l’autre repart bredouille. Je m’allume une clope. | |
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