Alsciaukat
| Sujet: Fragment #109 - La pluie en rafales 13.04.08 17:44 | |
| Mardi 25 septembre 2007 à Saint Avertin Je regarde par la fenêtre l'eau déferler par rafales sur les maisons voisines en une succession de vagues de pluie que rien ne semble pouvoir arrêter maintenant qu'elle a démarrée. Je me retrouve un peu dans cette ambiance morose, qui varie du pire au moyen sans le dépasser. Léa me manque. C'est idiot, je le sais, nous nous sommes vu dimanche, mais simplement, je n'ai pu la voir hier, et je ne l'ai pas vue aujourd'hui non plus. J'espère qu'elle va m'appeler, je n'ose le faire. Je repense à notre week-end à Dijon. C'aura été un fiasco, bien qu'elle m'assure le contraire. Je ne suis pas encore retourné sur msn pour parler à Julian, qui m'a laissé cette impression si vivace d'étrangeté, de mystère. Je n'ai pu détourner la muraille de ses yeux, ceux-ci m'ont été d'opaques rideaux secoués par le vent de ses idées. Je repense à son idée de clan, ses élucubrations sur le destin. Je me rappelle d'une période de ma vie où j'ai cru au destin, où par lui j'expliquais ce qui arrivait à ma famille ; sa destinée. J'étais faible alors, je n'étais pas en entière possession de mes moyens, je ne voyais le monde que par une minuscule lorgnette. Depuis je me suis éveillé, j'ai été exposé aux rayons du jour plus durement que tous, j'ai accusé les coups de la réalité avec une lucidité qui m'était propre et me montrait les autres tels qu'ils étaient vraiment : du vent. Et Léa est arrivé, m'a offert un abri, a dressé entre le soleil et moi un voile léger qui me fournit la lumière tout en m'en protégeant. Mais je n'oublie rien. Je n'oublie pas comme j'ai pu en vouloir au destin, et je comprends que Julian puisse s'y consacrer de même. Il ne connaît pas la même évolution que moi, car il n'avait pas l'air de ceux qui sont dans cette sombre période par laquelle je suis passé. Il avait l'air au-delà. Je repense à Lola, cette fille juste entrevue à l'hôpital, qui avait en son ventre un enfant de Julian. Il est vrai que la coïncidence est frappante. Chaque détail du tissu tendu sur son corps déformé et pourtant magnifique est resté gravé dans mon esprit, et j'imagine les sourds coups de marteau qui devaient résonner derrière au rythme du coeur de l'enfant, accordé sur celui de ses parents. Je suis curieux de savoir ce à quoi est destiné un tel enfant, avec de tels géniteurs. Destiné. « Tu n'as pas des devoirs, Léo ? » Je ne réponds même pas à Jérôme. Je ne sais pas pourquoi il continue de s'obstiner ainsi à me poser ce genre de question. J'ai majoré le premier devoir de mathématiques de cette année, battant même les redoublants. J'aurais peut-être du changer de lycée, partir dans un lycée parisien pour avoir d'autres élèves à ma taille. Mais j'aurais été éloigné de Léa. Impossible. Toutefois je m'ennuie à Descartes. Chaque heure est pesante, le cours avance à une lenteur effrayante, de laquelle je n'arrive plus à m'échapper avec l'écriture. Les mots m'ont momentanément déserté, je me retrouve seul face au tableau et à ma feuille. Je me retourne vers Jérôme. Il ne m'a pas quitté des yeux. Comme il a l'air vivant, à présent. Il est redevenu celui qu'il était dans le passé, brillant, fort, presque effrayant. Mais lorsqu'il me regarde, il y a une tendresse indescriptible que je voudrais voir crever, tant je suis incapable de la lui rendre. Jérôme est quelqu'un de bien, pas moi. Peut-être Léa va-t-elle m'apprendre à rendre l'affection aux gens. « Christelle vient manger demain soir avec Léa, tu seras avec nous ? » Un sourire éclaire mon visage. | |
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