Fragment #51 - Néant Blanc

Cela fait maintenant dix jours que je n’ai pas écris une ligne, que je n’ai même pas pris le temps d’ouvrir mon carnet pour y griffonner quelques mots à la hâte. Ce matin, le temps maussade qui flotte sur les environs, chargé d'un vent agressif et sauvage, m’invite à me replonger dans le travail de l’encre. Assis au bureau de Gautier, j’étale le cahier face à moi et dégaine mon crayon de papier. Le temps commence à s’écouler comme l’eau dans une clepsydre paresseuse.
Une heure devant le blanc du papier strié de lignes mauves et bleues. Ma joue appuie fermement sur la paume de ma main que mon coude, posé sur le bureau, supporte fermement. Le crayon joue entre mes doigts comme un bâton de majorette en parade. Rien, le néant. Aucune idée n’échappe à la censure de ma non-inspiration. Aucun souffle de génie ne murmure à mon oreille. Rien, le néant. Des flashs vont et viennent, pas assez consistant pour être plus longuement exploités. Dommage que Nathan ne soit pas là... Finies les aventures d’Arthur, Bleuette et les autres. Fini le temps des colonies de juillet. Où donc sont passées les Muses ? Août, le temps des vacances… Peut-être qu’elles aussi avaient besoin d’en profiter. J’imagine Clio et les autres en maillot de bain autour de la piscine, sirotant un cocktail en regardant passer Apollon, venu incognito, derrière leurs lunettes de soleil. Oh… il est tellement craquant… Je descendais hier les escaliers de Montmartre, quand j’ai croisé deux jeunes filles qui se sont arrêtées pour se glisser un mot à l’oreille en me désignant d’un air amusé. J’ai continué mon chemin, pris soudain d’une bouffée d’orgueil qui a rendu ma démarche presque impériale et a rehaussé mon menton avec fierté, le visage plein de morgue. Suis-je vraiment un descendant d’Apollon ?
Un descendant d’un dieu antique, perdu dans les rouages du vingt-et-unième siècle… Est-ce un filon à exploiter, un fil à tirer ? Je me penche sur mon cahier et creuse un trou noir en forme de courbe dans le néant blanc.