Bételgeuse
| Sujet: Fragment #59 - Une approche de la Vérité 13.04.08 19:00 | |
| Samedi 30 septembre 2006 à Dijon Ce n'est qu'en arrivant sur la rue de la Liberté que je me rends compte qu'il y a quelque chose d'étrange. C'est quoi, tous ces gens ? Quelqu'un peut m'expliquer ? Et... Non mais je comprend pas, là, le marché n'est pas censé aller jusqu'ici ! Les commerçants ont pris possession de la route, et une foule compacte et mouvante se presse d'un étal à l'autre. Les regardant à peine, je m'engouffre parmi eux, dijonnais de toute sorte, j'aperçois sur les tables qui longent la rue des chapeaux, des étoles, des vêtements. Respire profondément. Il faut bien, sinon je vais exploser, au milieu d'eux, sans heure, sans heure! Comment j'ai pu oublier mon portable ?! Comme je m'en veux d'avoir toujours refusé de porter une montre. J'essaie de capter une conversation qui ferait mention de l'heure, mais rien, que dalle, niet, nada. Le ciel ne m'est d'aucune utilité, le temps est gris et maussade, il peut être 9h tout aussi bien que 14h. Je déteste n'avoir aucun repère temporel pour me situer dans la chronologie de ma vie, je déteste toute cette foule qui me cache mon repère spatial, et soudain, entourée de cette masse uniforme et disparate, je m'arrête. Tout cela me semble alors d'un ridicule, ces gens qui trouvent des écharpes au lieu de chercher le sens de leur vie. Comment peuvent-ils ne pas y penser, en ce moment précis, sans repère ni spatial ni temporel, flottement périlleux de l'âme lâchée sans filet de protection. Je sens leurs corps tantôt gros et flasques, tantôt crus et décharnés, qui me frôlent, et font frissonner jusqu'à ma moelle épinière. Mon âme est au-dessus, elle les voit, elle ME voit, caillou imperturbable dans le flot incessant des corps sans vie qui me bousculent ; je reçois même quelques insultes pour avoir osé leur montrer le cocasse de leur situation. Regardez-vous, pantins informes et inesthétiques, regardez-vous ! Vous vous payez le luxe de l'arrogance face à mon corps frêle qui résiste aux assauts du flux presque liquide de vos âmes devenues corps lourds et si douloureusement soumis à la pesanteur. Regardez-moi, mon âme flotte au-dessus de l'inutilité de vos vies tracées sur un métier à tisser, je comprend l'effroyable vérité, et je vole par-dessus la grisaille de ces amas de chair et de sang que vous êtes. Car vous n'êtes que ça, ô mortels ! Vous n'êtes qu'amas de chair, de sang, et d'os. Vous vous rendez à peine compte que vous êtes habités à 70% par une divinité vitale et magnifique ; tout cela vous passe bien au-delà de la boîte crânienne, quelque part entre les nuages et mon âme voyageuse. Elle qui s'envole encore un peu plus haut, loin de cette absurdité encombrante, loin des étals de chapeaux et de manteaux en cuir ; plus haut que jamais vous ne pourrez l'imaginer, abjectes petites créatures soumises à leurs besoins naturels, savez-vous comme je vous méprise ? Vous rendez-vous compte de l'humiliation que vous vous infligez vous-même en ne résistant pas aux plaintes de votre corps, et ainsi en ne cherchant même pas à élever votre esprit ? Je me sens partir ; je vais rejoindre mon âme allégée de toute préoccupation matérielle. Regardez-moi, vermisseaux, je vole ! Je suis légère, légère, et autour de moi tout s'assombrit : je vous apporterai la Vérité. Je vole... Black-out. | |
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