Fragment #70 - Dimanche ordinaire

J'ai envie d'un DVD. Voilà, c'est ça, le truc. Un bon DVD, emmitouflée dans un pull informe et dans une couette moelleuse, pour oublier qu'on est dimanche et que l'automne s'est installé sans crier gare. J'imagine bien l'automne qui s'amène en hurlant « GARE! GARE ! ». Putain j'ai un humour de merde, mais au moins cette pensée me fait esquisser un sourire.
Bon, j'ai réussi à trouver un truc dont j'ai envie. Le problème, c'est que je n'ai ni DVD ni rien pour les lire. J'en connais un qui pourrait m'aider... Et dire que je m'étais promis d'essayer de l'approcher un peu. Mais le temps me glisse entre les veines, et je ne trouve pas la force de courir pour le rattraper. Et je me retrouve, comme une abrutie, comme tous les dimanches, à me dire que je n'ai rien fait de la semaine, et que le temps passe vite, et que je hais ces jours où la nuit tombe à 17h. J'adore la nuit, la vraie nuit noire et profonde, celle pendant laquelle la plupart des gens dorment, celle qu'on déguste en privilégiés lorsqu'on n'arrive pas à dormir, celle qu'on brûle par les deux bouts jusqu'au petit matin. Pas cette vulgaire copie, ce voile noir qui tombe devant le soleil et ses rayons bienfaiteurs en plein milieu de la journée.
J'avise une pomme sur la table. Elle n'est pas tout à fait ronde, pas tout à fait verte. Elle a un aspect bancal, hésitant. Je hais l'hésitation qui me ronge, le doute qui coule sur mes doigts et mes lèvres. Alors, je hais cette pomme. Je m'approche vers la table, allonge le bras. L'attrape, l'essuie dans mon t-shirt. Mes dents s'enfoncent dans la peau croquante, le jus sucré comme un poignard et rondement acide jaillit dans ma bouche. Je croque une deuxième fois, puis une troisième, avidement. Admire le carnage oeuvre de ma volonté ; petite chose vulnérable, tu n'hésiteras plus longtemps.
Sur le champ de bataille immaculé, une petite tache rouge qui s'étend un peu.
Ma victime m'a blessé.