Bételgeuse
| Sujet: Fragment #74 - Taste of blood 13.04.08 19:40 | |
| Dimanche 19 novembre 2006 à Dijon « On m'a donné ton num. RDV dvt la mairie 16h si t'es dispo. L. » L. ? C'est quoi ce plan foireux, encore ? Mais la question est : es-tu sérieusement en situation de faire la difficile ? Et la réponse est clairement : non. Cela fait un moment que je n'ai pas travaillé. Devant le petit miroir de la salle de bain, ma main tremble en approchant la brosse à mascara de mes yeux. Aucune indication précise, je fais quoi, moi ? Maquillage, un peu, beaucoup, pas du tout ? Je suis le contour de mes lèvres avec l'embout en mousse du gloss, les enduisant de cette substance collante et trop sucrée. Coup d'oeil rapide à l'ensemble. J'ai oublié l'eye-liner. Sous cette armure de fausseté, je me sens protégée, je ne suis plus tout à fait la même, prête à affronter n'importe quoi. Jean, t-shirt, de toute façon je ne serai pas là-bas pour rester habillée. Il n'y a pas grand monde devant la mairie, en même temps on est dimanche et le soleil n'est pas vraiment au rendez-vous. Un homme s'approche de moi, il est en costume. Bon point, il doit avoir de quoi payer une somme rondelette. Physique banal, mais de son visage se dégage une aura étrange ; je ne suis pas très à l'aise. « Sylvia ? » Je plante mes yeux dans les siens, et y déverse toute l'antipathie qu'il génère en moi. Il se met en marche, s'assure d'un bref regard que je le suis, à distance respectueuse. Il habite vers la place Grangier. Galant, il me laisse passer devant pour entrer chez lui. Je le sens mal, ce coup-là. Bel appart', grand et moderne. Je le suis dans la chambre, et ferme spontanément les yeux. Les murs sont tapissés de miroirs, le plafond aussi. Je pense que seule la peur d'en briser un l'a arrêté au moment où il a voulu en mettre par terre. Je ne peux pas. Je ne peux juste pas, je vais le lui dire, et partir, simplement : Je ne peux pas. Affronter le reflet de mon corps dans ses moindres recoins est au-dessus de mes forces. Allez, Sylvia, t'es une grande fille, ce n'est rien, juste quelques miroirs. Une éternité, cela fait juste une éternité. « Ouvre les yeux. » Je m'exécute, et mon reflet, comme cent fois multiplié, vient frapper mes yeux, je jurerais qu'ils vont se mettre à pleurer des larmes de sang, je deviendrai aveugle, et plus jamais, jamais, je ne serai confrontée à la Vérité de ma Chair. Mais non, ils restent grand ouverts, et sont attirés par cette image de Moi, autant que mon âme est déchiquetée par la découverte de l'enveloppe charnelle où repose mon esprit torturé. Un goût métallique de sang arrive à mes papilles, est-ce réel ? N'est-ce pas juste un cauchemar ? « Déshabille-toi. » Mécaniquement, je me mets encore plu à nu. Je détourne les yeux sur mes pieds, « Regarde-toi ! », je tremble, mes yeux roulent dans leurs orbites, cherchant à s'échapper, où est la sortie, où est la sortie ?! Je voudrais pleurer, brouiller ma vue de larmes, ne plus voir ce corps, ignoble, immonde, ce corps qui raconte mon Moi, ce corps qui EST moi, non, je ne suis pas qu'un corps, je ne suis pas qu'un corps, mon esprit vole plus haut que vos têtes, je ne suis pas juste ce corps aux os saillants qui est là, devant mes yeux, ce n'est pas moi, je ne suis pas cela ! « Branle-toi, regarde-toi te toucher. » Je te hais, abject pervers, violeur de mon Image, violeur de ce que je ne pouvais pas voir. Ma main glisse entre les cuisses blanches, très vite je sens mon liquide qui coule sur la peau fine, mes yeux sont toujours désespérément secs, ils regardent fixement le mouvement de la main qui entre et sort à l'intérieur, je la sens dans moi, mais ce que je vois n'est pas moi, c'est une fille en train de se toucher, mais ce n'est pas moi, pourtant je la sens, je la sens, je sens que ça coule, je sens que cette fille c'est... mais non, ce n'est pas, je ne peux pas... je ne comprend plus, et cette silhouette est celle d'une étrangère, qui est-elle ? Des seins petits et jolis, des jambes interminablement fines, qui est-elle ? Je sens qu'on me branle, je la vois se faire branler, mais quel est le lien ? Quel est le lien ? Une vague chaude secoue mon corps, je me sens partir, mon esprit s'envole, regardez, je ne suis plus cette enveloppe de chair et d'os, goût métallique dans ma bouche, je ne suis plus ce corps... Black-out. | |
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