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 Fragment #91 - Les cicatrices qui sont Moi

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Bételgeuse

Bételgeuse



Fragment #91 - Les cicatrices qui sont Moi Empty
MessageSujet: Fragment #91 - Les cicatrices qui sont Moi   Fragment #91 - Les cicatrices qui sont Moi Empty13.04.08 19:57

Samedi 30 décembre 2006
à Madrid

« ¿Porqué ya te vas? »
Je relève la tête d' El País. Ses yeux noirs sont devenus vitreux, sa bouche se tord en une grimace douloureuse à voir. Si tu savais, Mama, si tu me voyais telle que je me suis vue par mes yeux, oserais-tu poser la question ou aurais-tu bien trop peur de la réponse ? Je ne dis rien, je n'ai rien à dire, et en réalité je cherche moi-même la réponse à cette question. Que dirais-tu si je te disais que je sens qu'il faut que je rentre ? Comme un creux dans ma chair, une galerie creusée par je ne sais quel étrange insecte le Mal qui me ronge ? , je le sens, la Vie m'appelle irrésistiblement là-bas, elle me dit que je ne suis déjà plus ici, mais toute entière en France ; plus rien ne doit se passer pour moi à Madrid, tout doit se jouer loin d'ici. Les larmes commencent à couler sur ses bonnes joues d'Espagnole bien en chair, tu n'as toujours pas compris, n'est-ce pas ? Tu essaies jour après jour de te persuader que c'est fini, bel et bien fini, mais au fond de toi, le monstre de l'incompréhension enserre encore ton coeur, et peut-être même y repenses-tu souvent, lorsque tu es seule dans ta cuisine, et alors les larmes coulent sur le jambon cru que tu découpes, ou sur les pommes de terre que tu épluches. Et tandis que le couteau glisse sur tes mains tremblantes, entaillant un peu la peau épaissie par toute une existence de soleil, tu te demandes ce que tu as mal fait, pourquoi cela nous est arrivé. Et ton instinct de mère m'imagine déjà morte de fatigue, squelette fragilisé gisant sous un pont ou à côté d'une poubelle dans une ruelle pluvieuse. Et tu m'en veux de te faire penser à des choses pareilles car je ne donne pas de nouvelles. Tu m'en veux, et tu t'effondres au milieu de la cuisine, lâchant ton couteau qui vient frapper le carrelage froid.
Tu ne prends même pas la peine de cacher tes yeux qui saignent de me savoir déjà loin de toi. Mama, je ne pourrais jamais te le dire, mais je t'admire et t'aime comme la toute première femme a admiré et aimé sa mère. Regarde-moi, et ne vois plus la ressemblance avec mon immonde géniteur, mais vois ce que ton sang m'a donné : cette fierté qui ne me fera pas ciller devant le spectacle de tes larmes.
J'allonge le bras, et pose ma main droite, celle qui porte les séquelles de mon combat contre le Miroir, sur la sienne. Je t'aime, Maman, et voilà ma déclaration silencieuse : je te laisse découvrir les cicatrices qui sont Moi, ainsi je te donne la possibilité de creuser en moi et d'enfin m'apercevoir.
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