Fragment #7 - Le Silence continuera de tourner, et tourner encore

La lueur orangée des lampes à sodium parvient à peine à me sortir du décor. Seul, dans la rue résidentielle de Fontaine, j’avance à pas de loup.
La demeure de Sonia est là, à ma droite. Je remarque la lumière aux fenêtres, scintillante de guirlandes électriques : ils sont déjà là. Je m’approche alors, le nœud se resserrant toujours plus fort dans mes entrailles, mon myocarde hystérique palpitant toujours plus vite, toujours plus fort. J’aime ça. La sonnette est maintenant à ma portée, je suis invisible dans l’ombre des thuyas menaçants. J’appuie sur le bouton, le glas sonne. J’entends les pas saccadés en crescendo. C’est Sonia qui ouvre la porte et s’exclame d’un « ah ! c’est Jamie ! ». Je relève la tête et fait apparaître mes yeux et mon sourire derrière les stalactites noires, pointues et meurtrières. Je m’avance dans l’encadrement de la porte, Sonia me faisant signe d’entrer dans le foyer chaud et accueillant. Elle est là, je la vois. Je m’en doutais de toute façon. Elle m’a regardé brièvement puis a détourné les yeux, faisant semblant de s’affairer ailleurs. Je rentre et embrasse Sonia. Ses joues son chaudes, les miennes gelées, bien qu’il ne fasse pas si froid dehors. Cette chaleur corporelle me fait un bien fou.
« Tu m’as manquée, Sonia ».
C’est maintenant le sourire de Mylan qui me réchauffe. Assis sur le canapé, en train de regarder je ne sais trop quoi, il se lève à la vitesse du son et m’embrasse tendrement. Je lui siffle un « добрый вечер » (dobriï vetcher) à l’oreille, et il me répond « bonsoir Jamie ! ». Il déteste parler russe en dehors du territoire slave, mais il sait que j’adore le faire enrager pour un rien. Je profite un maximum des salutations, je fais durer le tout le plus longtemps possible.
Il reste cependant une personne. Elle. Je m’approche tel un félin traquerait sa proie, lentement, en souriant sournoisement. La victime a senti le changement d’humeur. Elle a senti que je ne la saluerai pas comme je les ai embrassés. Elle se méfie, mais sourit. Je lui fait une bise glacée, et ma crinière noire heurte ses boucles blondes. Son parfum irrespirable m’agresse les capteurs olfactifs, alors je me retiens de respirer un instant. Je glisse, en un murmure, un « bonsoir, Sarah ! » infect et odieux à souhait. Elle a senti le ton de ma voix. Elle a vu mon sourire de prédateur. C’est une excellente victime, je m’en régale. Et j’en souffre…
La soirée prend l’allure qu’elle devait prendre : nous nous remémorons nos souvenirs communs, nous discutons du moindre sujet-appât que les choses de la vie nous offrent, nous mangeons des choses variées, allant du verre de Coca-Cola au reste de foie gras de Noël. On lance alors un tour de table sur ce qu’on a eu à Noël, sujet inévitable. Puis vient l’heure du film de la soirée. Un thriller. Parfaite ambiance. Je me lève du canapé moelleux pour aller chercher des boissons. Dans la cuisine, je farfouille le réfrigérateur, puis fais volte-face. Je sursaute presque. Elle est là, en face, elle me regarde d’un air accusateur.
« Oui ?, fais-je, un peu surpris.
- A quoi tu joues ? »
Je ricane à la manière d’une hyène.
« Eh bien, je ne joue pas spécialement, je prends quelques cannettes dans le frigo. ».
Elle a l’air neutre, calme, terriblement sûre d’elle.
« Je peux avoir des explications ? Je parle pas de tes boissons, juste du vent que je me suis pris. ».
Je t’attendais là, ma douce, je n’attendais que ça.
« Un vent ? Ah, peut-être. Mais ce n’est que du vent, n’est-ce pas ? ».
Je ne peux m’empêcher de sourire en parlant, cette situation est bien trop amusante.
« Arrête ton manège », dit-elle froidement.
Ces paroles résonnent encore dans ma tête. Je savoure mon Fanta citron, les yeux scotchés à l’écran. Je me suis contenté d’ignorer sa remarque, en souriant jusqu’aux oreilles et en amenant les boissons aux autres. Je me délecte de l’ignorance de Sarah face à ma réaction. Je m’amuse de mon propre silence. Ils peuvent imaginer ce qu’ils veulent à mon égard, le résultat sera le même. L’année s’achève en un souffle.