Fragment #42 - Un Fragment d'Explication?

Je n’en peux plus. Il y a forcément une explication logique. Nathan ne nous a pas laissés face à une boîte vide. Quel en serait l’intérêt ? Julian et moi, face à face ? Mais pourquoi alors ?
J’essaye de me rappeler nos conversations internet. Je n’en ai qu’un souvenir flou, surtout que depuis notre rencontre, Nathan ne s’est pas reconnecté sur MSN. Où est-il alors ? N’était-il que là pour nous faire nous rencontrer. Et après quoi ? Exit, disparition du continuum spatio-temporel, delete ?
Julian et Jed ; la rencontre, les esprits complémentaires. Jon, où es-tu ? Alors que j’ai besoin de toi, tu es reparti à Langres. Je ne dois pas craquer face à ce masque de perfection, d’amabilité. Ta peau si douce à mes yeux, Julian. Tes cheveux lisses. Et tes yeux de feu. Tes yeux qui me brûlent. Hier, tu es passé à la maison. Je ne m’attendais pas à cela, non. J’avais encore la boîte entre mes mains. Avant d’ouvrir, je l’ai remontée dans ma chambre. Cachée sous le lit. C’est ma petite boîte rien qu’à moi. La porte s’est ouverte sur ton visage. Ton visage de Dieu. Je t’ai amené jusqu’à mon canapé. Je t’ai offert à boire. Après être retourné chercher la boîte, je me suis assis à tes côtés. J’avais simplement envie de te serrer dans mes bras en fait, je crois. Envie que nous ne fassions qu’un. C’est peut-être cela que Nathan aurait voulu. L’absorption de l’être par son image dans le miroir. Peut-être voulait-il que je traverse ce miroir. Je t’amène une bière. Tu n’as pas su l’ouvrir. C’était assez drôle d’ailleurs de te voir rougir un peu devant la capsule que tu regardais fixement. D’abord, je ne t’ai pas proposé de t’aider. Te voir inconfortable, mal-à-l’aise. C’était assez jouissif, en fait. Finalement, je t’ai proposé mon aide, que tu as acceptée de suite, en rougissant encore un peu plus. Et ce goût amer de la blonde qui coule dans la gorge. J’ai l’impression que tu as un peu le même goût, Julian. Amertume mêlée d’un peu d’épices. Relent d’alcool.
Nous avons encore examiné la boite. En fait, je l’ai examiné, la faisant danser entre mes doigts fins. Caresser toute sa surface, faire danser mes doigts avec le néant qu’elle renferme. Jouer avec les coins et les arêtes pour traquer le double-fond, qui n’apparaît pas. Caresser son étendue des yeux aussi, et remarquer que sa couleur n’est pas d’acajou, mais d’ébène plus exactement. Ressentir la marqueterie, le moindre petit morceau de bois collé. Et ce médaillon central qui m’a paru vide de premier abord. Mes doigts ressentent pourtant des aspérités, comme un sillon que la poussière aurait caché, mais dont le doux fossé joue maintenant avec mes doigts. Je regarde d’un peu plus près. On dirait une fourche.
Je suis avec Nathan sur MSN. Nous discutons de ma vie, de mes problèmes, de mon mal-être vis-à-vis d’Alex et de notre séparation. Et du petit mot qu’il a glissé entre mes doigts. « N’y touche pas, me dit Nathan. L’ouvrir serait mauvais, briderait ton imagination. Laisse-là vagabonder. Imagine ce qu’il voulait que tu saches. Imagine ce qui l’a poussé à te transmettre son soi le plus profond, ses pensées intimes sur un petit morceau de papier. Pose ce petit morceau de papier dans ta table de nuit. Il aiguisera tes rêves, te permettra de mieux comprendre la vie. Devine ce qu’Alex a voulu dire. Devine ce qu’il ressent pour toi. Veut-il que vous vous sépariez à jamais ? Veut-il que tu le rejoignes à Londres ? N’ouvre pas ce petit morceau de papier. Ouvre ton esprit plutôt. » Pendant que les mots défilent sur mon écran, j’examine son visage que sa webcam me transmet. Sa tempe gauche m’attire. Plus exactement le dessin que font ses grains de beauté. Je ne lui en parle pas tout de suite. C’est étrange tout de même que nous soyons reliés à un tel point. Je regarde encore sa tempe gauche et ses grains de beauté, puis mes yeux redescendent vers ma jambe droite.
« Tu vois quelque chose ? » c’est Julian qui m’interroge. « Euh, non, je répond, c’est rien. » ne pas l’inquiéter tout de suite. Ne pas lui faire remarquer que j’ai peut être un début d’explication. Je veux tout savoir. Pour lui dévoiler l’intégralité de la solution d’un coup.
Alors peut-être il tombera dans mes bras.