Fragment #146 - A Jamais.

J'entre dans le bâtiment, un peu essoufflé. Je demande mon chemin. J'ai quitté l'épreuve d'informatique au bout de l'heure réglementaire pour être ici. Je le dois, pour Léa. Et le stress, la chaleur, le fait d'avoir presque couru pour arriver ici s'évaporent lentement tandis que je m'approche de la double porte. Une angoisse sourde m'agrippe peu à peu les tripes.
Je pousse les portes.
Silence. Personne ne parle. En face de moi, dans un cercueil, il y a Christelle. Dans un cercueil. Et je me mords la lèvre, parce que je ne sais pas comment réagir. Quelques personnes se sont tournées vers moi à mon entrée. J'aperçois Jérôme, qui m'a jeté un bref regard coupable avant de se détourner, uniquement le temps que je puisse voir à quel point ses yeux sont gonflés. Je ne connais que trois personnes. Jérôme et les parents de Christelle, que j'ai croisés une fois à l'hôpital. Mais déjà plus aucun d'entre eux ne me regarde. Tout le monde est prostré dans le silence.
Je m'approche du cercueil. Et je sens que les larmes montent, irrémédiablement, devant le corps sans vie. Christelle... J'avais fini par l'aimer. Elle était bien. Je ne sais pas vraiment comment la décrire. Elle parlait, simplement, sans hypocrisie, sans ambages, elle disait ce qu'elle avait à dire, et ça me paraissait souvent sage.
Elle est magnifique, dans ses derniers habits. Ses cheveux ont été lissés et remontent sur ses épaules, son visage est serein. Elle a presque l'air sur le point de se réveiller. Je m'approche doucement de ce cocon. Et je pleure. Je ne peux pas me retenir. Parce que je pense à Léa, qui est encore dans le coma, et qui déjà n'a plus de maman. Quel avenir pour elle, si elle s'en sort ?... Et pourquoi Christelle est-elle déjà morte. Elle et son bébé, emportés avant l'heure. C'est moche. Je renifle un bon coup en m'essuyant les yeux. Je me fiche que les gens me voient. Je ne supporte simplement pas de penser à tout ce qui est arrivé. C'est trop injuste.
La cérémonie se déroule dans un brouillard cotonneux. Je ne me rends pas vraiment compte de ce qui se dit autour, je suis replié en moi-même. Parce que Christelle est morte, et que j'ai encore du mal à le réaliser. Il y a trop d'implications. A quoi ça sert, la vie, si ça doit se passer comme ça ?...
Les minutes défilent, et je conserve mon mutisme. Il n'y a pas de photo de Christelle souriant, pas de fleurs artificielles. Rien qu'une pièce froide, et Christelle aurait mérité mieux... Pas ces fleurs merdiques, ni ces photos ridicules, non, mais mieux, quelque chose... Elle était trop chaleureuse pour partir ainsi...
Et puis l'on change de salle. Il se passe des choses. On arrive dans le crématorium. Des gens se soutiennent autour. Ils sont tous par groupe de deux, trois. Je regarde Jérôme. Lui et moi sommes les deux seuls. Il me regarde à nouveau, et ses yeux fuient, ses yeux emplis d'un océan de chagrin et de destruction. Il est ravagé. Son esprit n'est plus qu'une vaste lande désolée imbibée de peine.
Le cercueil avance doucement sur le tapis roulant. Christelle. Son corps disparu à jamais.
Mes larmes brouillent les flammes.