Bételgeuse
| Sujet: Fragment #6 - Un petit bout d'enfer 08.04.08 11:10 | |
| Lundi 12 juin 2006 à Dijon Ca y est, j’ai expérimenté ce qu’est l’enfer, je sais ce qui m’attend après le trépas, et je me serais passée de l’apprendre aujourd’hui. Cela fait déjà plusieurs jours que mes volets sont fermés, enfin quelques semaines plutôt, et que je ne les ouvre qu’une fois la nuit tombée, pour admirer la noirceur de la grande Impératrice qui dévoile ses robes comme une faucheuse déplie ses longues pattes fines ; admirer sa parure de diamants qui s’éteindront bientôt, admirer enfin le silence du vent dans les feuillages d’été qui se reposent et essaient d’oublier la chaleur qu’ils endurent pendant les longues journées qui précèdent ces trop courtes nuits. La douceur de la nuit, et la toute relative fraîcheur qui règne chez moi grâce aux volets fermés m’avaient plus ou moins déconnectée de la chaleur ambiante. Et il se trouve qu’il fallait que j’aille à la Bibliothèque Universitaire (B.U. pour les intimes) aujourd’hui. J’avais à peine posé un pied dehors qu’une vague étouffante m’a frappé, sans prévenir, pas seulement en plein visage, non, elle m’a enveloppé rapidement, délicatement, comme on enveloppe une poupée de porcelaine dans du plastique à bulles, celui que les gamins crèvent pour s’amuser. Quelques secondes ont suffi pour que je me sente mal, j’avais l’impression d’être une crevette ou un… un…oh je ne sais pas moi ! enfin j’avais l’impression d’être sur un grill, ou plutôt dans un four, je pouvais presque sentir l’odeur de ma peau brûlée. Le soleil me donnait de grandes claques, comme pour me punir de l’avoir boudé si longtemps, me laissant des traces rouges-rosées là où il me frappait. Je suis assise à une table, à la B.U., donc ; je sens perler des gouttes sur mon front, je suis incapable de travailler, le soleil m’a cuit de l’intérieur, et à présent je suis molle, non je suis pire que molle : je suis liquide ! Le soleil m’aime tellement qu’il a voulu me mettre à la place de ma divinité aquatique, et m’a totalement liquéfiée ! Reprend-toi, Sylvia... J'attrape ma bouteille d'eau, je la porte à ma bouche. La gorgée descend dans un déglutissement, petite gorgée de bonheur qui rafraîchit tout l'organisme, je la sens encore longtemps après son passage, dans ma gorge, et jusque dans mon estomac, comme si elle avait balayé avec elle une couche de chaleur moite, laissant derrière elle une traînée de propreté. Je savoure la fraîcheur d'une goutte d'eau sur mes lèvres, je la laisse s'évaporer.
Il fait toujours aussi chaud, alors pourquoi autant de monde s’agglutine dans ce bus ? C’est à la limite de l’insoutenable, les effluves de parfums d’une pré-ado, et la vision éléphantesque d’une femme entre deux âges, obèse jusqu’au bord des yeux. Chaque mouvement du bus fait remuer sa graisse, ses ignobles pendants de graisse accrochés partout autour d’autres amas de graisse, à ses bras, à son cou, et même à ses chevilles ! C’est monstrueux ! Je détourne le regard, enfile mes lunettes de soleil. Et puis, un hurlement de bébé. Mais quelle idée de prendre le bus avec un bébé par ce temps-là ! Je m’imagine la chose en train de cuire, de brûler, de devenir écarlate, puis sa peau qui éclate en pustules, les cris qui se perdent en souffles rauques, et la mère désespérée à côté… Arrêt. Quelques pas, me voilà devant chez Francis. Tomber de rideau.
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