Fragment #84 - "Que les heures tristes semblent longues"

Lorsque j'ouvre les yeux, le jour n'est pas encore totalement levé. Je n'ai pas fermé les rideaux, et je reste allongé un long moment sur le côté, à regarder le ciel. Les nuages qui s'effilent, les premiers rayons d'un soleil froid. Je prends une profonde inspiration, luttant contre cette boule qui me saisit à la gorge chaque matin depuis que je suis revenu à Lille. Je me remets sur le dos. Le plafond. Blanc, lisse, impeccable. Faudrait que j'apprenne à ne plus y penser. Mais je ne sais plus quoi faire. Je me mets sur mon côté droit et fait face à la place vide de ce côté du lit. Ca va faire deux ans que Sofia est partie, mais je dors toujours de mon côté du lit. Suzanne et Julie y ont dormi, mais ça reste sa place. Je passe ma main sur le drap, le lisse à force. Je pense à tous ces matins, toutes ces nuits, que nous avons passés dans ce lit, à dormir, à faire l'amour, à nous parler, nous livrer. Quelques uns des plus beaux moments de ma vie se sont déroulés ici, dans ces draps. Dans ses bras. Et je ne peux me résoudre à les oublier.
On toque à ma porte. Cette fois-ci, lorsque j'ouvre les yeux, le jour est levé. Ce doit être Claire. J'enfile vite fait un t-shirt et mon pantalon. J'ouvre la porte. Personne derrière la porte. J'ai du rêver. La porte de la chambre de Claire est encore fermée. Sean a dormi ici. Bon tant pis. De toute façon, maintenant je suis réveillé. Je vais à la salle de bain et me passe le visage sous l'eau. Dans la cuisine, je sors trois tasses. Je vais préparer le petit déjeuner aux deux amoureux.
« Tu mets pas une tasse pour moi ? »
Je sursaute. Non, ce n'est pas possible. Elle est là assise devant moi, dans le canapé. Je n'ose pas y croire.
« Tu m'as oublié, Damien. C'est pas sympa ça.
- Mais non, So. Je ne t'ai pas oublié. Jamais je ne t'ai oublié. Mais, comment tu es...
- Tu m'as oublié, Damien. Tu m'as oublié, tu as refait ta vie. Sans moi.
- Mais... Mais non, pas du tout...
- Au revoir, Damien.
- Non ! »
Je me réveille en sursaut, le drap serré dans ma main. Bordel de merde. Ce n'était qu'un rêve.