Fragment #486 - Laisser le temps au temps

Est-ce que c'est de la neige ? Ou de la bruine ? Ca tombe du ciel gris-blanc et ça mouille tout, cette pluie de froid humide, ce détestable temps. Je regarde la rue à travers la vitrine de la boutique. Au chaud, à l'intérieur. Ici tout est délicatement silencieux, et rien ne bouge. La journée s'écoule lentement. Pas de clients, ou presque. Quelques rares visiteurs, qui passent, juste pour regarder, mais n'achètent rien.
Le soir, je rentre à l'appartement, rue Oberkampf, je m'affale sur le canapé et Sa Majesté vient me ronronner au visage. Juliette rentre de McDo, éreintée et empestant l'huile. Elle se précipite sous la douche pour se laver de cette odeur de graisse, puis revient vers moi, en se séchant les cheveux avec une petite serviette. Sergueï nous rejoint avec des pizzas, car nous n'avons pas le courage de cuisiner, ce soir. Simon passe nous voir et manger avec nous, il s'est encore disputé avec Laura et a préféré sortir prendre l'air. Nous nous donnons pour mission de lui changer les idées.
Aujourd'hui j'ai pris mes billets pour rentrer à Dijon samedi matin. Lilian me dit que lui et Florian m'hébergeront avec plaisir autant de temps que je le voudrai. Les fêtes approchent et je n'ai toujours pas fait de cadeaux. Dans cinq jours, j'aurai vingt-deux ans. Deux petits deux côte à côte. Deux comme Lola et moi, enfin réunis. Plus le bébé. Merde, ma symbolique est foirée. Tant pis, alors, au diable les symboliques dont je me suis abreuvé pendant des années. Je veux juste savourer ces instants, être là avec mes colocataires et amis, penser à mes frères, à la fille que j'aime, à notre bébé. Penser à l'appartement dans lequel j'emménagerai avec Lola et Kokhavah à la rentrée, si Lola est d'accord. Il faut qu'elle accepte, il le faut. Je n'aurai de cesse de croiser les doigts pour ça, il faudra que lui fasse ma demande officielle avec un maximum de tact. Et si tout ça n'était qu'une illusion ? Et si Lola n'était pas prête à vivre avec moi ? Et si elle ne me faisait pas confiance ?
Je veux leur prouver, à tous, que je peux y arriver. Même si je redoute la réaction de Papa et Maman, même si je ne leur ai pas encore dit que je passerai Noël avec Lola.
Nous buvons un peu d'alcool. C'est la première fois depuis que je suis guéri. Il faut que je fasse attention, car on ne sait jamais ce qui pourrait arriver, si jamais je perdais ma lucidité. Guilleret, je me laisse aller. Il faut que j'aprenne à me faire confiance, et que je laisse le temps au temps.
Rien ne peut arriver de pire que tout ce que j'ai déjà traversé.