Fragment #2 - Retour chez soi.

Gabrielle s’active dans la cuisine, je l’entends aux tintements de la vaisselle. Je sais qu’il doit être midi passé, mais je n’ai aucune envie de me lever. Je crois que c’est un des plus beaux moments de la journée, lorsqu’on est enroulé comme un rouleau de printemps dans sa couette et que nous savons que nous n’avons aucune obligation… Mais il faut que je me lève, que je lui dise… Hier quand elle est venue me chercher à la gare tard dans la nuit nous étions trop fatiguées pour parler, alors après s’être étreintes timidement, nous sommes rentrées et allées au lit très vite. Je n’avais pas vu ma grande sœur depuis deux ans, quand elle était venue spécialement de Belgique pour payer ma caution. Je m’étais encore fait prendre par la police et m’étais retrouvée au poste, ne sachant que faire d’autre, j’avais fais appeler Gabrielle. J’ai appris par la suite, à force de me retrouver en cellule, qu’il y avait bien d’autre moyen de sortir. Je secoue la tête et sors de mes pensées. Je m’étire avec souplesse et me décide à sortir de la douceur de la couette. Le contact de mes pieds nus sur le parquet me fait sourire, j’avais horreur de ça quand j’étais enfant. J’enfile un peignoir et sors de la chambre, finalement il ne fait pas si froid dans la maison. Mon regard se pose sur un cadre accroché au mur. Dessus on peut y voir six personnes souriantes. Ma mère est assise avec mon père sur le canapé, ce dernier tient un bébé dans les bras, mon plus jeune frère, Timothée. Penchée sur la tête du bébé, Gabrielle est à genoux sur l’accoudoir du canapé, elle doit avoir à peine 10 ans. L’ainé de nôtre fratrie, Nathan, me tient par les épaules. Nous sommes assis par terre. Ma gorge se serre. Je baisse la tête, la vue de la photo m’est encore insupportable après toutes ces années.
J’avance jusque dans la cuisine, Gaby est là, toujours aussi belle. Ses boucles blondes tombent sur ses épaules, elle est penchée sur la table. Son visage se relève vers moi et ses yeux bleu sombre se plantent sur mon visage.
« Oh tu es levée. Tu as faim ? J’ai fait des gaufres pour quand Tim rentrera.
- Quelle heure est-il… ? Oh, Tim va venir ?
- Oui, il arrivera dans une demi-heure je pense. Tu en veux une ?
- Non merci je ne mange pas le matin…
- Lena si Tim va rentrer de l’école, ce n’est pas le matin.
- Ah oui… Il est à l’école… C’est bien… En quelle classe ?
- En quatrième, c’est sa deuxième d’ailleurs il a doublé.
- Euh… En quatrième ? Mais il a seize ans ! Il a doublé pas mal de fois !
- Non… Lena on est en Belgique !
- Ah oui, pardon donc il est en …
- C’est l’équivalent de la seconde au lycée pour le système français.
- D’accord…
- Lena… Tu es sûre que tu ne veux pas manger ?
- Non, merci ça ira »
Je lui adresse un sourire peu convainquant qui lui tire une moue embêtée. J’attrape mon sac, posé sur la table et sors mon paquet de cigarette.
« Tu fumes toujours tes clopes à la menthe, c’est amusant.
- Oui, toujours, je n’ai pas tant changé que ça. »
Son visage se crispe et elle change rapidement de sujet :
« Timothée aussi fume maintenant.
- Quoi ? Mais, tu le laisses faire ?
- Toi on ne t’a pas empêché !
- Mais il a seize ans !
- Tu en avais quinze. »
- Oui… Pardon… Mais moi…
- Toi c’est différent, et je pense que ça ne se passera pas pareil avec lui si tu lui parles.
- Lui parler ?
- On ne lui a rien dit Lena… Il sait juste que tu es partie étudier la danse dans le Sud de la France, et que tu n’as pas pu venir à l’enterrement de Maman parce que tu étais malade.
- Vous lui avez menti ?
- Pour le protéger. Il pense que Papa et Nathan ne veulent plus te parler pour ça. Il est…De ton côté…
- Et tu veux que je lui dise quoi ?
- La vérité.
- Je ne peux pas.
- Il est sur la mauvaise voie Lena, il va faire les mêmes bêtises que tu as faites.
- Je vais prendre un hôtel. Bonne journée. »
J’attrape mon sac rageusement et vais dans ma chambre récupérer mes valises. J’ai juste le temps de les empoigner que j’entends la porte d’entrée s’ouvrir, en trois seconde chrono, Tim est là devant moi. C’est un jeune homme maintenant, plus l’enfant que j’avais quitté il y a cinq ans. Il saute dans mes bras.
« Lena !!! C’est tellement bon de te voir ! »
C’est à ce moment là que les cinq années de galère, ces cinq années sans pleurer, ont frappé un grand coup dans ma nuque. Je m’effondre dans les bras de mon petit frère, trempant son épaule de larmes salées.