Fragment #492 - Le poids de la culpabilité

Maintenant, je suis un jeune homme de vingt-deux ans. J'ai une petite amie, et nous avons une fille d'un peu plus de un an, que je connais à peine. Ma petite amie s'appelle Lola Sinclar, elle a des origines hébraïques, d'où le prénom de notre enfant : Kokhavah. Ca veut dire « étoile ». D'ici quelques jours, nous allons habiter ensemble, tous les trois, pour la première fois. J'ai peur. Et je me sens prêt à faire front. C'est un sentiment étrange. Savoir que les obstacles vont surgir, mais être psychologiquement paré à les surmonter. Je ne crois pas avoir déjà ressenti une telle chose par le passé. Une telle force. Celle de Lola et la mienne. Nous sommes faits l'un pour l'autre, c'est indéniable. Alors bien sûr, je vais plonger dans une autre vie. Mais est-ce que ce n'est pas en choisissant ses propres barrières qu'on est vraiment libre ?
Demain, c'est le réveillon de Noël. Cette année encore, je n'ai pas fait de cadeaux, parce que mes finances ne me le permettent pas. Juste un petit lapin en peluche pour Kokhavah, et un parfum pour Lola : La Femme, de Jean-Paul Gautier. J'espère qu'elle va aimer. J'espère que c'est un cadeau approprié pour la femme qu'on aime. Il y a deux ans, je lui avais offert une petite écharpe bleue. Lola la porte toujours. J'aime l'idée qu'elle puisse m'emmener partout avec elle, comme ça. Alors j'emballe le petit flacon rosé dans un carton, le recouvre de papier cadeau couleur d'or et d'argent. La peluche est mignonne. J'espère que Kokhavah l'aimera.
Dimanche, j'ai parlé à maman du fait que je passerai le réveillon chez les Sinclar, et que Lola et moi viendrions manger le 25 à midi. Elle a pincé les lèvres, haussé les sourcils. Elle m'a dit qu'elle en parlerait à Papa. Moi je n'ai pas le courage de le lui avouer en face.
Demain, je suis invité chez les parents de Lola. Déjà, avant, j'en avais peur, mais aujourd'hui, je suis comme liquéfié. Comment soutenir leur regard ? Comment garder la tête haute, quand je ne suis rien d'autre que celui qui a abandonné leur fille au moment où elle aurait eu besoin, plus que jamais, d'être soutenue ? Comment être autre chose à leurs yeux que celui qui n'a pas eu le courage d'être un père pour Kokhavah ?
Comment vais-je faire pour me racheter ?