Fragment #16 - Fet Nat

Tiens, pas de courrier. Pourtant, si je me souviens bien, on n’est pas dimanche. D’ailleurs quel jour on est ? Alors…hier…Etait-ce hier ? J’avais rendez-vous avec Mr Mizri. Bon, admettons. Et il m’avait dit… « Vous êtes libre…jeudi 13 ? » Sa femme partait en voyage d’affaires le mercredi, je crois. Mais oui, c’est ça ! On est vendredi. Le 14 Juillet. C’est vrai que c’est la fête nationale en France. Ca me rappelle une histoire qu’on m’avait racontée…Il paraîtrait que des gens ont appelé leur enfant « Fetnat », parce qu’il était né le 14 Juillet et que sur le calendrier, « Fête Nationale » avait été abrégé.
Il n’y a personne dans le hall. Je suis seule avec les gouttes de sueur qui roulent sur mon front, mon dos, ma poitrine. Je me demande si en fait je n’ai pas de la fièvre, c’est pas normal de craindre autant la chaleur pour une madrilène !

Je me suis permis de regarder votre nom sur la boîte aux lettres… Comme vous ne me l’aviez pas donné…

Rien ne me retient de faire pareil, n’est-ce pas ? Par pure vengeance, parce que je me fiche de connaître son nom exact, ou même le numéro de son appartement. Alors… Je m’approche un peu, me penche sur les boîtes en fer blanc, on dirait qu’elles sont faites de boîtes de conserve recyclées. Je trouve un Romain. Malvo. Son nom est gravé sur une petite plaque dorée qui a l’air d’avoir bien vécu, elle est tachée de noir en plusieurs endroit. Le bout de mes doigts se pose dessus, elle est étrangement fraîche, et je sens son nom, Romain Malvo, gravé en profondeur. Apparemment, son appartement est situé juste en dessous du mien. Je n’arrive plus à décoller mes doigts de la petite plaque, ni mon regard de ces onze lettres. Onze…Comme un alexandrin auquel il manquerait un pied. Douze est le chiffre de la perfection : douze syllabes et on obtient une musicalité parfaite, douze apôtres et on obtient un prophète. Onze est donc celui de la presque-perfection ? Celui de la perfection ratée de peu…
Une petite explosion me fait sursauter. Ah oui, les pétards, les fameux pétards du 14 Juillet. Je me tourne vers la rue et vois des gamins courir se mettre à l’abri. Puis « BOUM ». Boum…
Je vais retourner dormir, ça m’évitera de penser à des trucs aussi stupides que le chiffre onze ou le bruit des pétards.
L’escalier grince sous mes pas. J’arrive à son étage. Je jette un coup d’œil discret. C’est donc derrière cette porte que se cache sa vie ?
Encore un étage. Vous ne trouvez pas la frontière entre Paradis et Enfer beaucoup trop fine ?