Fragment #25 - Voyage en eaux profondes

Vingt-trois heure vingt-sept. Je mets un point final à mon DM d'algèbre et c'est avec un grand soulagement que je ferme mon classeur de maths. Je m'étire et me lève, pour mieux me laisser retomber sur mon lit un mètre plus loin. Immobile, je fixe le plafond, n'ayant pas la force de changer de position. Je laisse mes yeux vagabonder sur l'immensité blanche, plaine de plâtre façonnée par la main de l'Homme. Mon regard file le long des arrêtes, survole la limite supérieure de la fenêtre avant de planer à proximité des grandes portes coulissantes de mon placard. A l'Ouest de celui-ci, au niveau de l'arrête qu'il forme avec le mur, une fissure prend naissance. Elle serpente sur des centimètres à travers le désert de gypse, venant en rompre la monotonie blanchâtre à coups de méandres, avant de venir mourir aux alentours du colossal néon. L'éclat blafard de ce dernier a attiré jusque dans ces contrées lointaines un papillon de nuit. Agitant ses ailes poudreuses pour se maintenir au plus près de la source de lumière, il s'y abreuve, ignorant qu'il vit les dernières heures de son éphémère existence. Je ferme les yeux. La fatigue commence à s'emparer de mon corps. Je ne pense à rien. Seule une légère brise, invitée par la fenêtre entrouverte, vient effleurer ma peau. Et sous les caresses répétées de la sylphide, mon esprit, toute la journée secoué par les vagues et les tourbillons, s'apaise et se fait lac. Et mon corps sombre. Il s'enfonce dans les profondeurs du lac sommeil, de plus en plus lourd, si bien que même les quelques rares bulles de conscience qui croisent son chemin ne pourront plus le faire émerger. Et l'ivresse des profondeurs s'empare de moi, me faisant basculer dans le pays des songes. Je marche sur la plaine abyssale, au tréfonds de mon subconscient, à la merci des rêves et des cauchemars, seuls maîtres de ces lieux engloutis, Atlantide où sont noyés mes souvenirs, mes craintes et mes espoirs.