Fragment #63 - Je ne sais plus si j'aime Paris

La semaine s’est écoulée lentement. Les visites se sont espacées et mon prochain rendez-vous n’a lieu que demain. Tureïs s’est bien adapté à son nouvel environnement, cependant sa présence énergique et tourbillonnante semble irriter Elisabeth.

Je me rends compte qu’elle travaille énormément sa thèse et que calme et silence lui sont nécessaires. J’avais oublié que vivre avec quelqu’un implique quelques compromis. Finis la musique à fond, la télé à n’importe quelle heure et les repas au milieu de la nuit. J’appréci cependant de pouvoir lui parler, lui raconter tous ces petits riens qui constituent mes journées, ma vie. Pour le moment ma sœur n’a invité personne à l’appartement, mais il lui arrive de s’absenter le soir, régulièrement. Je pense qu’elle attend que nous ayons tous les deux pris nos marques.

Je ne sais plus si j’aime Paris. Lorsque j’étais étudiant, la capitale me semblait recéler un univers de promesses ; les gens que je rencontrais me motivaient intellectuellement et culturellement. Aujourd’hui, Paris me semble se résumer à de la grisaille, de la pluie, des gens enfermés dans des rôles trop souvent joués ; Tout cela est recouvert d’un diktat de l’apparence qui lisse ce petit monde bien pensant. Je ne sais pas si c'est moi qui ai vieilli ou bien si c'est Paris qui, au fil des ans, a perdu de son charme. Je ne sais pas si c'est ma vision des choses, ma réceptivité au monde, mon point de vue qui s'est modifié ou bien si c'est la société, le microcosme parisien qui a évolué. Sûrement un peu de tout ça avec une pointe d'autre chose. Toujours est-il que je ne m'y sens pas autant chez moi que je l'aurais cru.

Tureïs roupille sur le lit l’air satisfait. J’aimerais être un chat pour ne me soucier que de manger, jouer et dormir. Depuis que nous avons emménagé chez ma sœur, il dort avec moi et je dois avouer que cette petite boule de chaleur est bien réconfortante. Par la fenêtre de ma chambre, j’observe mes voisins de l’immeuble en face, au troisième étage. Julian et une jolie jeune femme brune mangent tranquillement tandis que le bébé est couché. Bonne soirée famille Mahogany.

Je m’éloigne de la fenêtre et me rassois sur le lit. Je laisse mes pensées repartir à la dérive, sans attaches ni port.

Ma sœur ne devrait pas tarder à rentrer. Le dîner est déjà prêt, la table est mise. C’est par de petites attentions qu’on apaise les frictions.
Ma sœur. J’aime la nouvelle personnalité qu’elle commence à revêtir, mélange entre l’ancienne adolescente, pleine de vie et rieuse, et l’ex-femme rangée, sèche et frustrée.

La porte de l’appartement claque sur un « je suis rentrée », tandis que Tureïs, surpris, se précipite sous le lit. Ces deux là ne sont vraiment pas faits pour s’entendre.
Ma sœur m’interpelle depuis le bout du couloir :
- Devine Maël ! Mes meubles arrivent samedi !