Fragment #17 - Entre

Je passe la grille du lycée, ressens comme à chaque fois cette étrange variation globale. J’aime ces frissons. Comme si ce n’était pas seulement la pression atmosphérique ou la température ambiante qui différenciaient l’intérieur de l’extérieur, de cet établissement pseudo-scolaire, -pénitentiaire,- mais comme si ce lieu transitoire constituait une brèche entre deux mondes, incompatibles. Dehors la vie est plus douce, moelleuse, l’amour plus abondant... Presque l’impression de sortir de l’Enfer, sous liberté conditionnelle... Ca fait du bien de respirer de l’air si peu pollué après une journée plus longue que prévu où tout ce qui avait été prévu a été empêché. Et après tant d’heures incarcéré sur une chaise, c’est presque reposant de marcher. Alors marchons encore un peu...
Ce soir ma ville est belle et élégante. Elle sent bon. Elle sent le bon moment. Par habitude, ou peut-être par autre-chose de tellement plus puissant, je me retrouve devant cette porte. Encore. Son souffle est chaud... Me souffle un mot...
Entre.
Non. Ce n’est pas le moment d’entendre des voix. Il n’y a personne. Dijon me parle parfois, mais pas avec nos mots. Et cette porte ne parle pas tout court.
Entre.
C’est bon ! C’est bon ! Je me reprends. Il n’y a personne. Personne ne parle. C’est bon. C’est le bon moment. J’espère. Je propulse ma main en direction de la sonnette, dès l’atterrissage en caresse le contour, doucement. C’est parti...
« Pardon ! » me bouscule-t-elle, prend ma place et pousse la porte. Et tout bascule. Et le reste m’interroge... Le monstre de métal reprend lentement sa position initiale. J’entre avant qu’il ne soit trop tard. La peur est loin. La jeune fille est là, disperse énergie et pensées dans des opérations de triage d’enveloppes et décryptage de contenu. Le couloir est étroit. Et froid, très froid. Et les noms sur les boîtes aux lettres, illisibles. Comme les épitaphes que le temps se tue à effacer. Comme si des morts vivaient ici. La peur est loin... Je demande.
« Je euh... Je cherche mon frère.
- Euh... Au deuxième. Et à droite.
- Merci. »
Je la dépasse et m’enfonce dans l’escalier, pose délicatement mon pied à chaque pas pour éviter l’effondrement du vieil immeuble... Et à droite. Il n’y a qu’une porte à droite. Heureusement, car une seconde aurait posé un problème d’espace des plus conséquents. La peur est loin, je frappe. Encore, à la manière de Déborah lors de son combat contre la porte de Michelle... Rien, encore... Mais rien.
En bas, la jeune fille n’a pas bougé d’un centimètre. Elle a juste posé énergie, pensées et enveloppes sur le sol, pour tenter d’y voir plus clair. Elle lève la tête. Peut-être qu’elle sait où est Romain. Peut-être qu’elle sait s’il va bien. Peut-être qu’elle sait tout... Mais la peur resurgit. Je ne lui demanderai pas.