Fragment #536 - Ce qui devait arriver

Le corps de Robert est froid comme la pierre. Il fallait bien que ça arrive. Déjà il sentait que la mort le guettait, et ce n'était plus qu'une question de jours. J'ai caché les yeux de Kokhavah, par réflexe, pour lui épargner le spectacle morbide. Puis, reprenant mon souffle, saisissant ma raison, je suis sorti avec elle de ce temple du pourrissement pour la protéger de la puanteur, pour qu'elle reste innocente à tous prix. J'ai appelé Lola, mais je suis tombé sur son répondeur ; forcément, elle est en train de cirer les pompes de David Brossard à l'heure qu'il est. J'appelle mon frère, qui travaille aussi, à sa boutique de fleurs, et enfin Juliette, qui, émergeant à peine, grommelle au téléphone :
« J'espère que t'as une bonne raison pour me réveiller aussi tôt un jour où je bosse pas, sinon je te jure que je vais te le faire payer, petit con.
- Mon grand-père est mort cette nuit.
- Merde...
- Oui...
- Désolée Julian...
- T'en fais pas, ça va, je suis pas triste. Tu peux venir m'aider ? J'ai besoin que tu gardes la petite pendant que je m'occupe de lui.
- Pas de problème, j'arrive.
- Merci Juliette. »
Ma meilleure amie est en route. Je sais qu'elle courra dans le métro comme si ça vie en dépendait, il ne me reste plus qu'à l'attendre dans ce petit square avec ma fille. Je la regarde jouer dans le sable, avec sa jolie robe, et je souris. Dans le bâtiment derrière nous, il y a le cadavre qui m'attend. Je vais devoir m'en occuper, et ça me fait peur. Je n'ai jamais touché un mort. Je ne connais pas les gestes adéquats. Je ne sais pas si je supporterai l'odeur de la chair qui s'effondre et la vue de ce corps sans vie.
Allez Julian, courage. C'est la dernière étape de cette mission : devenir psychopompe, et, tel Hermès, accompagner l'âme de l'aïeul jusqu'au bord du fleuve Achéron.
J'ai cela dans le sang.