Fragment #1 – Peintures Rupestres et Vases Grecs

Leurs yeux de prédateurs me reflètent. Petit, et perdu. Je ne sais pas trop ce que je fais ici. Eux savent ce qu’ils aimeraient faire de moi. Un demi-chauve, la quarantaine, me sourit. Il a l’air sympa. Sa main droite se pose sur son entrejambe, qu’il caresse en me regardant. Peut-être trop sympa, le mec. Je lui fais un signe de tête. Non merci, monsieur.
Je resserre ma serviette autour de ma taille. Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas accepté que Tom m’accompagne. Malgré ses air de duchesse anglaise, il n’a peur de rien, lui. Et il aurait pu faire un bon allié, une fois passé les recoins des douches.
Je ne me sens vraiment pas à mon aise ici. Pourtant le nom de l’endroit me faisait doucement penser à ma chère Londres oubliée.
Ici, rien du quartier gay et huppé de la capitale Albienne. Que des corps en recherche. De la sueur, des cris et des entrelacements. A ma droite le jacuzzi, ou les hommes se prélassent ; nus et assoupis. Deux jeunesses, folles et fières se roulent des patins à n’en plus finir. Un bedonnant, vieux qui plus est, se paluche en grognant. Rouge comme il est, on croirait un de ces prêtres missionnaires en train de bouillir dans la marmite d’une tribu anthropophage.

Et pourtant, je me sens bien.

Je l’ai peut être fait par téléphone, lâchement, mais je l’ai fait. Je me sens enfin à la hauteur de mon estimé cousin. Maman, je suis gay. Simple, mais oh ! tellement libérateur.
Il est sur que j’avais hésité. Il y avait la version polie et plutôt vieille France : « mère, je suis homosexuel » ; l’option cash : « Hé, la vieille, j’suis pédé » ; ou encore le chemin ambigu : « Je suis pédéraste… » (Avec le sourire en coin, je vous prie).
Maman a à peine tiqué. Puis elle a changé de sujet. Etrange. Pas de tremblement de terre, pas d’averse torrentielle, pas de crevasse qui s’ouvre sur un Enfer en fusion. Et elle m’a même souhaité une bonne journée en raccrochant. A croire que nous ne passons pas tous par le même chemin. Peut-être que les embûchent m’attendent plus loin…

Au milieu de ces images de peintures rupestres et de vases grecs, je me sens mal à mon aise. Heureusement, un petit bonhomme tout juste sorti du sauna vient à mon aide. Son doux corps mince et frêle ruisselle de sueur. Je la croyais due à la chaleur jusqu’à ce que deux mecs baraqués, les mâchoires carrées (et fatiguées, semble-t-il), n’en sortent aussi, exténués.
Il se présente, c’est Phil. Je lui réponds : « Bonjour, Phil. » Puis il prend sur lui de me présenter les recoins de ce monde de merveilles.
Quelques centaines de coups de reins plus tard, et, semble-t-il, des milliers de kilomètres de labyrinthe parcourus, ainsi que de nombreuses mains inconnues sur mes formes, je me retrouve au vestiaire. Phil est resté à l’arrière pour me couvrir, après m’avoir promis de s’occuper de tous ces gens pour moi et m’avoir chuchoté de mots doux et gribouillé un numéro sur le poignet.
Pendant que je m’essuie, je sens les yeux d’un vingtenaire, plutôt mignon, se poser sur moi. Il me sourit. Je suis trop timide pour entamer la conversation, mais j’ose sourire en retour. Rhabillé, il passe la porte à ma suite, longe les panneaux de bois qui font l’angle de l’entrepôt dans lequel le bâtiment est situé et protègent l’entrée, puis tourne dans une rue mal éclairée.
Je ne suis pas trop sûr, mais prends sur moi, et le suis.
Deux cent mètres plus loin, ils sont quatre, et m’attendent. Mon esprit réagit vite, et m’ordonne de courir.
Je ne sais pas si j’aurais le temps de leur échapper.