Fragment #153 - Fantômes et Souvenirs

Les souvenirs dérivent majestueusement, telle une veillée au flambeau observée de loin par une nuit d'été. Le cortège vascille et danse avec les ombres de la lune tout en descendant vers la vallée. Ils rejoignent les limbes, creusées au fond d'une combe où se mirent les étoiles dans le reflet d'un petit lac. Malgré la distance, on perçoit le clapotis de l'eau sur la rive et le clair de lune dessine des fantasmes à la surface de cet evanescent miroir. Sur l'étendue liquide, les flammèches voguent solennellement avant de s'éteindre et de sombrer à tout jamais. Alors que, dans l'air encore doux, flotte un parfum d'automne que l'on ne peut ignorer. Il est là et déjà les arbres entament leur mue tandis que leur parure s'envole avec la bise des regrets.
Dans la forêt avoisinante, l'ocre et le brun bataillent dans une symphonie de couleurs aux notes criardes. S'impose alors à l'esprit la mémoire des frondaisons vertes, des raies de lumière entre les feuillages, de la lourdeur de l'air chargé d'humus dans les sous-bois et avec lui retentit le chant du soleil sur les épis de blés. On devine presque le rouge des coquelicots au milieu des champs et, en arrière plan, le grillon qui chante près d'un bosquet de pins.

Les beaux jours se sont enfuis et l'on souhaiterait les retenir. Re-sentir, ne serait-ce qu'un peu, ces minutes trop vite écoulées, afin d'à jamais les figer. Car, aujourd'hui, c'est à peine si l'on peut les évoquer.

Les souvenirs s'en vont et nous ne sommes que souvenir.

Une trace laissée au hasard d'une rencontre dans la mémoire d'un autre. Reflet déformé par ce regard étrangé, cristalisé et piégé le temps d'une vie qui elle-même sera annihilée.

Demain, c'est nos fantômes qu'on aura peine à évoquer.