Fragment #46 - Ian

Ian hoche doucement de la tête. On dirait qu'il ne m'écoute pas vraiment. Il regarde à travers la baie vitrée de notre bureau à Sean et moi. Sean s'est absenté. Lorsque je lui ai annoncé mon départ, il n'a pas compris et m'a supplié de réfléchir à ce que je faisais. Il comprend ma douleur, mais pas mon obstination. Malgré cela, je sais que je peux compter sur lui.
« Tu comptes faire comment ? Tu penses faire quoi exactement ? »
La voix grave de Ian m'a fait sursauté.
« Tu as de quoi subvenir à tes besoins ?
- J'ai un service à vous demander. Je vais avoir besoin d'une carte de presse. Mais une permanente. »
J'essaie d'avoir le soutien de Ian. La décision que j'ai prise n'est pas facile. Autant à mettre en application, qu'à faire accepter. Ian est nerveux, anxieux. Il déploie son mètre quatre vingt douze de derrière la table ronde au milieu de la pièce, et fait désormais face complètement à la baie vitrée. Sa grande silhouette se découpe sur le ciel gris et les toits de Lille, lui donnant une allure encore plus gigantesque que sa taille ne le fait déjà. Il fait volte-face, me fixant de ses grands yeux verts. A chaque pas qu'il fait dans ma direction, je m'enfonce un peu plus dans mon fauteuil. A la lueur de la lampe de bureau, les traits de Ian sont plus durs. Son visage est tendu. Il ne dit rien pendant un moment, fouillant simplement mon regard de ses yeux réduits à l'état de deux fentes. Ses pupilles sont petites à proximité de la source de lumière, et cela lui donne un regard encore plus perçant.
« Avec cette carte de presse, tu espères faire quoi? Te faufiler un peu partout. Fouiner pour trouver quoi ?
- Je pourrais surtout faire des reportages pour le site pendant que je m'absente.
- Et Jean-Charles ?
- Je comptais sur vous pour me donner un coup de main. »
Ian se relève d'un coup, l'étonnement se lisant sur son visage. Pendant quelques secondes, je crois voir passer de la rage dans ses yeux. Mais il fait quelques pas en arrière, comme titubant, puis se laisse tomber assis sur la petite table ronde. Sa main droite passe sur son front, ses yeux, puis sur sa bouche.
« Tu comptes donc vraiment partir. Je ne pensais pas que tu étais si résolu. »
Je le regarde, plongeant mon regard bien plus loin que je n'avais jamais osé le plonger dans le sien. Je le laisse un instant, pénétrer dans ma tête, dans ma souffrance. Dans mon Enfer. Mon être est un pénitent enfermé dans cet Enfer. Aucune rédemption ne m'est accordée pour le moment. Juste un purgatoire. Ian se relève, perdant encore quelques couleurs. Il s'avance vers la sortie. Il fixe la porte mais ne l'ouvre pas. D'une voix tremblante, il se confie.
« Damien. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis attaché à toi. Ton travail, ta sensibilité, ta personne. J'ai confiance en toi et suis fier d'être un de tes collègues et, je l'espère, un de tes amis. Je voudrais te mettre en garde devant les risques que tu vas prendre. Mais je ne peux pas. Ta détermination est grande et j'espère que tu vas trouver ce que tu cherches. Je vais essayer d'arranger le coup avec Jean-Charles. Je ne te promets rien. »
Sa voix s'éteint quelques instants.
« On se voit un peu plus tard, Damien. Bonne fin de journée. »
Il tire la porte vers lui et disparaît. Je me retrouve seul dans le bureau. Seul avec le poids de la culpabilité grandissante.