Fragment #45 - Un petit mot fluo

Je passe doucement les mains sur mon ventre. Il y a une vie là-dedans, un cœur qui va bientôt commencer à battre… qui bat déjà peut-être. Je sens mon estomac se nouer, j’ai tellement peur dès que j’y pense. C’est moi l’enfant, c’est moi qui ai encore besoin qu’on m’aide, qu’on me protège. Comment pourrais-je élever et rendre heureux ce petit être alors que je commence seulement à trouver ma place ?

Ces derniers jours ont été forts en émotions, en questions. Je viens d’avoir vingt ans, le plus bel âge paraît-il. J’aurais dû faire la fête, m’amuser, boire jusqu’à plus soif ou encore danser jusqu’au bout de la nuit. Et au lieu de ça mon seul souhait a été de pouvoir rester un peu seule, de pouvoir me retrouver. Les copines sont exemplaires avec moi. Zoé est même allée passer quelques jours chez son copain pour me laisser seule chez elle. Je n’arrive plus à rentrer chez Papa et Maman, et pourtant eux aussi ont été vraiment parfaits. Ils sont là, je le sais, et ils le seront quoi que je choisisse, quoi que je fasse. Depuis que je sais que je suis enceinte, j’ai un peu déserté la fac. J’ai même l’impression de m’être désertée moi-même, de ne plus savoir qui, ni où je suis. Je passe mes journées sur le canapé de Zoé, repliée sur moi-même. Papa et Maman respectent mon besoin de me retrouver et se font discrets, même si je sais que Maman doit dormir avec le téléphone sous son oreiller, au cas où j’appelle… Et Julian. Je sais qu’il s’inquiète, même si je donne de brèves nouvelles de temps en temps. J’aimerais avoir déjà trouvé la force d’aller le voir, mais j’ai tellement peur de tout lui raconter. Je sais que rien ne sera jamais plus comme avant. J’ai peur de changer sa vie, et même peur qu’il parte sans se retourner. Comment savoir ? Mon ventre grogne. Non, ça ne peut pas être le bébé, bien sûr que non. J’ai faim. Je me lève et me dirige vers le frigo, que Zoé a pris la peine de remplir avant de partir… J’ouvre la porte. Que la lumière soit. Je m’apprête à prendre la glace au chocolat et distingue un petit post-il collé dessus, il est de Zoé :
« Tu vas bien assez prendre de kilos ces prochains mois ! Arrête de manger et va voir Julian, tu ne pourras pas avancer sans lui. Je t’aime. »
Je reste plantée devant le frigo ouvert qui commence à geler mes pieds nus, et une larme tombe sur le petit morceau de papier fluo. Elle a raison, bien sûr qu’elle a raison. Comment avancer sans prendre une décision par rapport à ce bébé ? Et comment prendre une décision sans même en avoir parlé à Julian ? C’est décidé, je dois aller le voir.
J’attrape mon téléphone, et compose son numéro, par cœur.
« Julian, c’est Lola…
- Je m’inquiétais. Tu m’évites ? On ne se voit pas beaucoup ces derniers temps…
- Je sais, pardonne-moi. Tu es chez toi là ?
- Heu oui… Tu sais, depuis que j’ai décidé d’arrêter la fac, je suis tout le temps ici.
- Je peux passer, d’ici une petite demi-heure ?
- Bien sûr, depuis quand tu demandes pour venir ? Tu es chez toi, tu le sais…
- Bon, alors j’arrive.
- Je t’attends Lola. »

Je glisse mon téléphone dans la poche de mon jean, qui commence déjà à me serrer on dirait. J’enfile mon manteau, et me dirige vers la porte. Je m’arrête devant le miroir de l’entrée en passant devant, et contemple mon reflet. Ai-je changé ? On dirait que non… pas en apparence. Pas encore. Mais quelque chose me choque, comme s’il manquait quelque chose, comme si je n’étais pas entière, pas vraiment moi. L’écharpe de Julian… Je cours la récupérer sur le canapé et la passe doucement autour de mon cou, comme une caresse. A présent je suis prête. Prête à voir nos vies changer pour ne plus jamais redevenir comme avant…
Si tu savais ce que je m’apprête à te dire, mon Amour…