Fragment #54 - Nouvelle vie : J - 1

Debout devant ma glace, je contemple les rondeurs que prend peu à peu mon ventre. Je lis de plus en plus d’articles ou documents sur la grossesse, et je sais qu’à mon cinquième mois qui commence, les empreintes digitales de mon bébé sont formées. Il mesure environs 20 centimètres et pèse 240 grammes. Dès la semaine prochaine, mon petit haricot pourra même sucer son pouce apparemment ! Je m’émerveille chaque jour de découvrir tout ce qu’un si petit être peut déjà avoir comme incidence sur mon organisme, sur ma respiration, et surtout sur ma vie.
Je me sens de plus en plus forte, même si je sais que je devrai compter sans Julian pour tout ce qui suivra. Il a sa vie maintenant, et son silence ne fait que me conforter dans l’idée qu’il n’a pas envie que moi et le petit haricot en fassions partie. Anne-Ka m’a dit qu’en passant devant un petit bar, elle l’avait vu à l’intérieur, servant une limonade à une grosse dame âgée. J’imagine donc qu’il a enfin trouvé le petit emploi qu’il recherchait tant. La clef de son indépendance, de sa prise en charge, et de son éloignement de moi. Cette porte que j’ai claquée en partant de chez lui, je sais qu’il l’a ressentie autant comme une douleur que comme un soulagement. J’ai sacrifié mon bonheur pour le sien je crois. Mais c’est tellement douloureux de voir rester à côté de soi un homme qui ne nous regarde plus, qui fuie, qui évite.
Il n’a pas voulu tout ça après tout, il ne l’a pas choisi ce bébé. Moi non plus, bien sur, mais moi j’ai la maitrise de mon corps, et j’aurais pu décider de mettre fin à sa vie avant même qu’elle ne commence. Mais je n’ai pas eu le courage de décider pour lui, de le priver de tout ce qu’il y a de beau dans ce monde. Et aujourd’hui, je dois avoir le courage de l’élever pour qu’il ne manque de rien, de faire de lui un petit être épanoui et heureux.
Mille fois j’ai eu envie de rappeler Julian, de lui dire que j’étais désolée, qu’on allait tout reprendre à zéro et élever notre enfant ensemble… Mais ce n’est pas ce dont il a envie, et je l’ai probablement toujours su. Donc je serai forte, pour mon enfant, et pour lui. Je pourrais me voiler la face, et retomber dans ses bras, qu’il me tendrait sans doute sans attendre d’ailleurs… Mais pour combien de temps ? Et pour quoi ? Continuer de me mentir à moi-même, baser les premiers pas de mon enfant sur des fondations instables ?
Je ne peux pas nous faire ça, ni à lui, ni à moi, et pas non plus à Julian. Son bonheur est ailleurs, forcément, et je dois lui laisser l’opportunité de le trouver.
Plus les jours passent et plus je suis convaincue d’avoir fait le bon choix. MON bon choix. Cet enfant c’est ma chance, mon destin, ma raison de vivre. Mais si ce n’est pas le chemin que devait suivre Julian, alors c’est qu’un autre bonheur m’attend peut-être sur la route, et que sa vie à lui est ailleurs.
Je m’assois sur mon lit, et prends mon téléphone.

Messages. Rédiger.
« Mon ventr pouss bien, ms je C kil devra pouC san toi maintenan. Je ne t’en veu de rien. Tu as juste d’autres espérances de vie. Ms sach que ton enfan sera tjs le tien, et ke tu feras tjs parti de no vie. Je ne toublierai jms, et il saura combien son père étai un homme bien. Lola. »
Rechercher. Julian. Envoyer.

Cette page de ma vie se tourne en même temps que mon pouce appuie sur le bouton vert. La nouvelle qui commence débute demain, avec mon échographie. Je saurai enfin si j’attends un petit garçon ou une petite fille.
Nouvelle vie : J - 1