Fragment #38 - Ta main dans mon illusion

Nous sommes presque inséparables à présent. Même Georges a l’air de m’apprécier, il essaie de plaisanter avec moi, et rit à ce que je fais passer pour des tentatives ratées d’humour, ratées parce que je n’ai pas l’habitude, à cause de ces terribles évènements que personne ne connaît mais qui expliquent mon comportement durant le début de l’année. Ils ont si rapidement accepté mon changement, mon retournement total de personnalité !
Je vois leurs visages baignés des lueurs dansantes du film qui nous passe devant les yeux. Marie se tourne vers moi, me regarde d’un air étrange, et me glisse à l’oreille :
« Il te ressemble, tu ne trouves pas ? »
Je regarde le visage de Billy Costigan, Léonardo di Caprio, en train de pleurer. Je souris à Marie. Mouais, j’ai les cheveux blonds, les yeux gris, et je suis loin d’être aussi musclé. Et je me rase. Il y a peut-être un petit quelque chose dans les traits du visage.
« Tu devrais te laisser pousser le bouc comme lui. »
Bah tiens. Je lui jette un nouveau coup d’œil et vois qu’elle affiche un grand sourire. Est-ce qu’elle se moque de moi ? Est-ce qu’elle ne voulait pas dire autre chose en parlant de cette pseudo ressemblance ? Je quitte quelques instants l’ambiance du film pour y réfléchir. Le Léo de l’écran pousse des gémissements à fendre l’âme.
Soudain ma respiration s’arrête, alors que mon cœur s’accélère. Je retiens le réflexe consistant à retirer violemment ma main, et laisse les doigts de Marie se mélanger aux miens. La tête me tourne. Le film n’est plus là, il n’y a plus rien d’autre que cette main sur la mienne, ces vers de chair qui fouillent ma paume. C’était évident. Je ne sais pas comment j’ai pu ne pas me rendre compte de ce qui se passait. Comment j’ai pu manquer le fait que Marie avait envie de moi. L’idée me révulse, mais je ne bouge toujours pas. Mieux, je lui prends la main à mon tour. C’est plus intéressant encore que tout ce que j’aurais pu songer. Marie, amoureuse de moi. Voilà pourquoi elle s’obstinait ainsi, ce n’est pas juste une mère Teresa ratée. Séduite par mon visage de Léo, de Léopold, de Léonardo di Caprio. Elle tremble un peu, ne quitte plus l’écran des yeux. Ca va trop vite, trop vite. Mais tant mieux. Je souris, tout en tentant d’adoucir l’expression carnassière qui me vient. Alexandre est juste de l’autre côté d’elle, à même pas un mètre de moi, et je tiens la main de sa petite amie. Les autres sont encore à côté.
Cette nuit Marie m’a invité à dormir chez elle, plutôt que de m’obliger à rentrer sur Saint Avertin. Un goût désagréable m’emplit le fond de la gorge. Je n’ai pas envie de coucher avec elle. Je ne veux pas balancer ma virginité comme ça, par-dessus bord, sur un coup de tête. C’est un peu stupide, comme sentiment, il n’y a finalement aucune importance à être vierge ou non, mais voilà, pour l’instant je préfère garder ce côté de moi. Je refuserai si elle me le propose. Je ne veux pas dormir dans le même lit qu’elle. Pas une nuit entière à la toucher, à être si proche de cet être que je n’arrive pas à comprendre totalement et qui pourtant paraît si simple et clair.
Je me replonge dans le film. Ma main devient peu à peu moite, mais Marie ne la lâche pas. C’est amusant, tout ça.