Fragment #25 - Envie de pleuvoir

Lorsque je relève la tête sur le miroir, une goutte salée coule encore sur ma joue, et mes yeux sont vitreux. Je prend un peu d’eau pour me rincer la bouche, avant d’en avaler une gorgée, qui racle l’amère acidité qui persiste sur mon palais.

Je n’oublie pas d’éteindre la lumière en sortant de la salle de bain. Près du lit, je ramasse les restes de ma déchéance, et jette le tout, emballages vides, restes de gâteaux au chocolat, fond de ravioli en boîte. Je les noue dans l’opacité d’un sac poubelle, le pose un instant près de la porte, le temps d’enfiler mes baskets, attrape la clef.

Je dévale les marches, je sens la pluie qui tombe au dehors couler dans ma gorge, dans mes os, dans mes veines. Mes doigts se referment sur le froissement du sac, qui devient humide de ma sueur.

Pampam, pampam, pampam… Mes pas sont comme les battements d’un cœur, musique régulière et profonde. Le chemin jusqu’au local à poubelle est long, long… J’ai peur de croiser la vieille voisine avec son chat noir, ou encore les enfants de la femme du premier. Ou encore…

Une odeur nauséabonde s’échappe de la poubelle lorsque j’en soulève le couvercle. On dirait qu’un cadavre en décomposition avancée est caché dedans, c’est ignoble. Je balance les preuves de ma faiblesse, et repars, la gorge nouée par l’abjecte trace olfactive qui me poursuit, comme si elle cherchait à me dénoncer aux yeux de tous.

J’arrive dans l’entrée, vers les boîtes aux lettres, le ciel pleure. Le nœud dans ma gorge est toujours là, alors que l’odeur m’a lâchée. Je récupère machinalement les clefs dans la poche de mon jean, alors que j’enjambe la quatrième marche. Je ferme les yeux un peu plus longuement que pour un clignement, essayant de leur faire ravaler la rivière qui s’est formée à la lisière de mes paupières. Je ne veux pas craquer. Pas ici…

En arrivant à son étage, j’ai la bizarre intuition qu’il va sortir juste à ce moment-là. Peut-être remarquerait-il les petits vaisseaux qui ont pété vers mes tempes, et il m’offrirait une tasse de thé. Je m’arrête sur le palier. Ne bouge plus, retiens mon souffle. Puis je me rend à l’évidence : les types dans son genre ne sont jamais là quand on a besoin d’eux. Alors la voici, la première goutte qui roule doucement le long de ma joue, jusqu’à mes lèvres.

Enfin j’arrive. Je referme la porte derrière moi. Avance jusqu’à mon lit. Je refuse de me vautrer sur le matelas, dégoulinante de larmes, sous prétexte que ça me ferait du bien. Le ciel pleure toujours ; et j’ai moi aussi comme une envie de pleuvoir, debout, comme une enfant perdue au milieu d’un supermarché, la gorge de plus en plus nouée. Puis je passe le revers de ma main sur mes yeux à peine rougis.
Et puis, on frappe. Il frappe.
« Je me demandais si vous vouliez bien venir prendre une tasse de thé chez moi ? »