Fragment #47 - Petit Banlieusard

« Qu’est-ce que tu écoutes ? »
Gautier ôte l’oreillette de son baladeur. Allongé sur le ventre à même la couette, les pieds ballants en l’air, mon crayon à la main appuyant sur une page blanche, je ne parviens pas à trouver l’inspiration. Je réitère ma question. Gautier me répond qu’il écoute une chanson de Diam’s. Je laisse échapper un rire sarcastique et replonge dans le néant de ma concentration. Gautier me fixe et son sourire s’efface.
« Quoi ? me fait-il.
- Rien, dis-je sans même essayer d’altérer le mépris de mon sourire.
- C’est le fait que j’écoute Diam’s qui te fait rire ? »
Je ne réponds pas et détourne les yeux. Au fil de nos soirées, Gautier et moi écoutons toutes sortes de musiques endiablées, tout juste utiles à animer nos corps d’une fébrilité dansante, mais jamais très recherchées. Là c’est le comble, voilà qu’il se met à écouter de la merde, et en plein jour, qui plus est. Gautier, comme je te méprise aujourd’hui…
Il se lève, de toute évidence résigné à ne pas abandonner, et vient s’asseoir sur le rebord du lit. Son visage est grave et fermé.
« C’est bon, dis-je avec une légèreté acide, ce n’est que de la musique, pas la peine d’en faire un drame.
- La musique est un drame.
- Si tant est que ce qu’elle fait soit de la musique.
- Toi tu viens de ta petite province de bourge, avec tes petites idées et tes petits principes, mais tu sais pas ce que c’est qu’être dans la merde. »
Son ton, cette fois, ne me fait plus rire. Je lâche le crayon.
« Crois-moi, dis-je, je sais ce que c’est qu’être dans la merde. »
La petite voix fait son retour dans le coin de mon crâne, toujours aussi aigre. A quel moment ai-je été dans la merde ? Je ne me souviens plus…
« Tu la méprises cette fille, mais tu la connais même pas.
- J’ai pas envie de la connaître, c’est de la merde.
- Ok, laisse-la t’expliquer elle même alors. »
Gautier me glisse un écouteur dans mon oreille. Il choisit l’instant le plus approprié et lance la musique. Une voix agressive, sur un rythme chargé de douceur et d’affliction.

Ma vie c'est mon rap et mon rap c'est un message
Mon rap c'est un respect, c'est un posca et puis un lettrage
Mon rap c'est du piano c'est des notes blanches et noires
C'est des tonnes et des tonnes et des tonnes d'encre noire
Mon rap c'est ma raison d' vivre, c'est ma raison de dire au monde
Que quand on veut on y arrive malgré les zones d'ombres

La musique se poursuit, coule dans mes tympans. J’écoute et boit, sans laisser mon visage trahir la surprise que provoque en moi le travail de cette jeune artiste. Je rend l’écouteur et me penche sur mon cahier.
« Alors ? me demande Gautier.
- Mouais.
- Alors ? insiste-t-il.
- C’est pas mal. »
Gautier retourne s’asseoir, et je le devine satisfait (je ne le méprise dès lors plus tant que ça…). Comme j’aimerais pouvoir dire un jour, de ma vie, « c’est des tonnes et des tonnes et des tonnes d’encre noire »...