Fragment #116 - Chacun doit donc avoir des amis ?

Je me souviens.
Il y a un an. Marie, Alexandre. Je me souviens que nous étions sorti pour Halloween. Marie, qui avait flashé sur moi, qui s'était emplie la tête de tas d'idées sur moi, parce que j'étais mystérieux, que je ne laissais rien transparaître (si elle avait eu mes yeux, alors j'aurais été tout à fait transparent, mais ce n'était pas le cas), et que j'avais l'air... je ne sais pas, j'avais l'air d'avoir besoin de quelqu'un. Elle avait du être ravie de pouvoir combler cette brèche, elle s'était jetée dans ce qu'elle avait imaginé être une faiblesse, peut-être pour pouvoir se féliciter d'avoir pu m'aider. Trop bien intentionnée, ou bien trop hâtive de pouvoir se couvrir elle-même d'éloges. Je ne sais.
Et puis non. Elle avait vu que je n'étais pas faible, malgré ce que je lui avais dit. Je n'avais pas si bien joué mon rôle que ça, puisqu'elle s'était bien rendue compte qu'il y avait autre chose qu'une pseudo timidité ou un quelconque traumatisme derrière mon mutisme. Et j'avais perdu de mon intérêt. Elle s'était progressivement détachée, revenant sur Alexandre, qui lui s'éloignait d'elle. Salope. Moi je n'étais pas si chouette que ça, je n'étais pas la petite créature qu'elle avait souhaité protéger. Alors elle avait libéré en moi les cataractes de glace, et s'en était allée ailleurs, avec cette phrase odieuse : "On reste amis ?"
Comme je suis heureux aujourd'hui qu'elle soit partie. Que cette expérience débile ait pris fin. Qu'ai-je pu trouver d'intéressant à la côtoyer, elle si vide d'intérêt ? Je n'ai sans doute pas encore assez de recul pour pouvoir analyser mon propre comportement. Je ne doute pas que je le pourrai bientôt. Tout cela est malgré tout si loin.
Aujourd'hui il y a Léa, la douce Léa. Je crois que je ferais tout pour elle.
Y compris venir dans ce bar. Elle ne m'avait jamais parlé de ses amis. Je ne lui avais jamais posé la question, il est vrai. Et je me retrouve face à Pierre, Jérémy, Juliette. Un groupe de quatre amis, comme il se doit, dans lequel je me trouve brusquement aspiré. Ils étaient là, lorsque nous sommes arrivés, déjà installés à une table, en train de discuter joyeusement. Je n'aurais jamais cru que ce genre de personne puisse être ami avec Léa. Je crois que je ne lui imaginais aucun ami, la question ne m'avait pas traversé l'esprit tant il me semblait claire qu'elle était au-dessus de tout le monde. Je vais tenter de me contrôler. De ne pas les rejeter en bloc. Je vais tenter... de faire leur connaissance ?
En nous voyant ils nous ont fait quelques signes, auxquels Léa a doucement répondu en souriant, avant de se pencher vers moi :
« Tu vas voir, ils sont très sympas. »
Et nous sommes là, juste devant eux. Ils m'ont détaillé sans la moindre gêne durant notre approche, mais aucun n'a osé soutenir mon regard, sans doute plus agressif qu'il devrait l'être. Je fais tout mon possible pour le radoucir, pour le mettre sur la même longueur d'onde que Léa, mais j'ai du mal. Elle l'a bien senti et a sa main sur mon avant-bras, comme pour me calmer, même si rien d'autre ne trahit son attitude au-dehors. Les autres ne prennent sans doute ce geste que pour une simple marque d'affection.
« Salut Léa ! Salut Léo !
- Alors c'est toi le fameux Léo ! Si tu savais tout ce qu'on a entendu sur toi... »
Léa rougit. Ce n'est pas vrai, elle ne leur a presque rien dit sur moi, je le sens à leur ton, ils essaient seulement de charrier Léa. Mais je suis presque embêté qu'ils disent des choses comme ça. Ils sont trop familiers. Je ne les connais pas, après tout, je ne sais rien d'autre d'eux que leurs prénoms...
Ils me serrent tour à tour la main, font la bise à Léa, et nous voici assis ensemble autour de la table. Un serveur arrive aussitôt nous demander ce que nous buvons. Je regarde Léa, qui comprend que le choix lui incombe pour nous deux.
« Deux sirop à la pêche s'il vous plaît. »
Le serveur s'éloigne avec son calepin à la main. Les discussions débutent.
« Vous êtes en retard !
- Ca c'est de ta faute Léa, j'en suis sûr !
- Ah ah ouais, toujours en retard celle-là... surtout depuis qu'elle a son Léo ! »
Clin d'oeil complice auquel je ne réponds pas. Je suis terriblement mal à l'aise. Ils ne nous ont pas encore laissé en placer une seule, ils parlent sans s'arrêter. Comment Léa peut-elle les apprécier ? Elle sourit en les regardant, sans parler, comme si leur simple présence lui suffisait. Je dois me maîtriser pour lui faire plaisir. J'aurais aimé avoir plus de temps pour me préparer.
Je réponds distraitement à quelques questions. Je ne suis pas bien. Léa rit à côté à leurs plaisanteries. J'ai chaud, la musique est trop forte. Léa, as-tu vraiment besoin d'eux ?... Est-ce que je ne te suffis pas ? Je ne dois pas être égoïste comme ça... mais j'ai si mal au crâne... J'étouffe dans mon pull... Je ferme les yeux quelques instants.
Je suis dehors. Je regarde le ciel vide, les passants marchent autour de moi sans atteindre mon monde. Pourquoi est-ce si difficile ?... Je sens l'eau mouiller le coin de mes yeux, et, derrière, Léa qui tente de me parler.