Altaïr
| Sujet: Fragment #13 - Gueule de Bois 09.04.08 13:55 | |
| Samedi 15 avril 2006 à Dijon Titubant sous le poids de l’alcool et du sommeil, j’entreprends avec difficulté l’ascension des escaliers de l’appartement. Il est environ cinq heures du matin, et je rentre d’une soirée endiablée, la cinquième en une semaine. C’est plus que je ne suis jamais sorti en un an. Allongé sur mon lit, trop couard pour ôter mes vêtements qui empestent l’odeur de la fumée et pour me glisser sous les draps, je me régale de cette sensation d’épuisement, cette lourdeur sur mon visage et dans mes yeux, cette faiblesse dans mes membres. Depuis une semaine, j’ai l’impression de revivre. J’ai dû cesser d’écrire dans mon carnet à songes, n’ayant désormais plus rien à y ajouter, ni même le temps d’y penser. Les rythmes de tous les tempos nocturnes effleurent mon esprit et font vibrer mes lèvres, jouent de leur acoustique dans les profondeurs spongieuses de mon cerveau, tandis que mes doigts fredonnent sur le rebord du lit les résurgences de ces musiques qui nous enivrent sur le dance-floor. Vas-y DJ, déchaîne nos corps, fait exploser l’air et la matière ! Fait tout sauter ! Endors nous pour mieux nous réveiller… Je me suis englué dans le sommeil jusqu’à une heure tardive. Le soleil, sous son écharpe de froids nuages, doit avoir atteint le zénith. Je me lève péniblement, avec dans le crâne une désagréable pesanteur. Le temps s’accélère, mais ne cesse de s’accrocher par à-coups à son cours normal, me ramenant régulièrement à cette sensation de sable plein la tête et le corps. J’allume ma chaîne hi-fi et envoie la bande originale de Virgin Suicide dans mon petit temple du sommeil, tout en picorant dans les restes du dîner de la veille. Cette musique luit comme le miel des cheveux de Kirsten Dunst ; c’est un bain d’huile dans lequel mon corps pénètre et se délasse de ses enclumes, une substance grasse et douce, épaisse et onctueuse. J’ai reçu un texto de Jill. Elle me donne rendez-vous ce soir pour boire un verre à deux… Les heures s’écoulent avec paresse. Dehors, la pluie se met à tomber. Le vent d’avril est chargé de relents et je vomis cette humidité maussade. L’après-midi a fini par s’achever et, enfin, un crépuscule de plomb commence à teinter le ciel. Je me sens soudain fébrile, à mesure que la nuit m’envahit. Je prend une douche et revêts des habits que j’arrange soigneusement, m’enduit de parfum et coiffe mes cheveux en arrière. Pendant un instant, je m’exerce à sourire devant la glace. Cela ne m’a jamais paru aussi simple. Je quitte mon appartement avec l’assurance d’un dieu pour me rendre au lieu de rendez-vous. Les enceintes jettent des séismes entre les murs ; l’air tout entier vibre autour de nous. A moins que ce ne soit la proximité de Jill, qui me sourit derrière ses cheveux blonds, de ce sourire maquillage un brin cinéma. Au fond de moi, je sais que de nombreux avant moi ont contemplé ce gracieux mouvement des lèvres, mais je me refuse encore à admettre que, un jour, d’autres le découvriront peut-être à leur tour, avec ce même tressaillement qui agite mon cœur. Jill se penche en avant pour m’embrasser. Le contact de ses lèvres sur les miennes est délicieux. Je me crie intérieurement sur un ton autoritaire et despotique de graver cet instant de bonheur, en me répétant inlassablement : « Ca y est Julian ! Tu es heureux ! » comme l’accomplissement d’une comptine, la comptine de la vie. Je crie, je hurle, mon esprit vocifère à en perdre la voix, tandis que le visage de Jill se presse contre le mien. Il y a les enceintes, les tempos diaboliques, et ce cri en moi, l’orgasme du bonheur. C’est un tel vacarme que, finalement, je n’arrive plus vraiment à sentir la caresse de sa bouche contre la mienne.
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