Fragment #174 - Première neige

Enfin ! Je me précipite au dehors emmitouflé dans mon anorak et mes gants, un bonnet sur les cheveux et une écharpe autour du cou, suivi d’une Lola amusée par mon enthousiasme d’enfant. Quand Elle revient, c’est toujours ainsi, les souvenirs d’enfance surgissent et m’envahissent, je redeviens le Julian bambin qui courait bras tendu sous la cavalcade des particules, les yeux fermés et la langue tirée en avant pour recueillir des flocons, et les manger. Le ciel d’un blanc laiteux déverse sur la place Grangier un glacis de neige qui saupoudre les toits, les arbres et les rues. Tout est blanc, et je m’émerveille de cette grâce hivernale tant espérée.
J’entraîne Lola avec moi, et nous voilà tous deux courant comme des enfants sous la neige qui continue à tomber dans les rues de Dijon, riant aux éclats. Comme c’est bon, comme c’est doux, ce bonheur saisissant du froid que j’aime tant ! Non, je ne retournerai pas à la fac. Au revoir les cours de Lettres Modernes, ce n’était pas fait pour moi. J’irai voir Mathieu aujourd’hui, il m’aidera à trouver un petit job, comme n’importe quel étudiant. Je te rendrai fier de moi Papa. Nous rentrons main dans la main jusqu’à notre petit temple du sommeil. Tiens, les métaphores reviennent. C’est peut être ça aussi, l’œuvre de la plume sur le monde, donner un sens aux choses. Le tribunal de mon âme me l’a appris, c’est la voie tracée de mon bonheur. Lola, tu sembles toute chose aujourd’hui, qu’est-ce qui te prend ? Veux-tu que je te serre contre moi, que je t’offre tout mon bonheur pour le partager avec toi ? Les flocons tombent sur tes joues de bébé rosies par le froid et fondent pour y former de fausses larmes. Ne pleure pas, ma Lola, même si c’est pour de faux. Rien ne saurait nous arriver. Je me sens invincible, prêt à lutter contre le Papier, je trouverai un travail et tu pourras venir habiter avec moi toujours, je m’occuperai de toi et tu seras entièrement mienne, ma petite femme, nous nous marierons, qu’en dis-tu ? Il me semble que, de ma vie toute entière, je n’ai été aussi amoureux qu’en cet instant même.

Lola est partie à son rendez-vous gynécologique, encore une chose qui me fait apprécier de n’être pas né femme. Je m’assieds à mon bureau et regarde la neige tomber au dehors. Nathan ne s’est pas reconnecté depuis la dernière fois. J’ouvre une page Word vierge et commence à réfléchir à un plan pour entrer par effraction dans la maison des Cléart.