Fragment #63 - Obsession

Réveil en sursaut. Toujours ce même cauchemar, et les serpents de feu dans mon ventre. Je suis en sueur. Le temple du sommeil est baigné dans une douce lueur rosée, le matin l’investit doucement. Je passe une main sur mon visage et sur ma tête (comme c’est étrange de ne plus sentir ma chevelure comme avant). Nalvenn était là encore, guide diaphane et évanescente dans le labyrinthe. Sans réfléchir, je laisse mon pouce composer son numéro sur mon portable. Les bips s’enchaînent, sans pitié. Il est cinq heure du matin ; Nalvenn ne répond pas.

Nouvelle tentative dans la matinée. Tout ça m’obsède, ce rêve, Anubis, Nalvenn, le labyrinthe, mais aussi la boîte, Nathan, et enfin Jed, le ténébreux Jed.
« Julian ? C’est toi qui a essayé de m’appeler cette nuit ? Je suis désolée, je dormais. »
Et je prends soudainement conscience de l’incapacité de Nalvenn à m’aider. Elle en a beaucoup fait pour moi, mais son rôle s’achève ici, dans l’affaire de la boîte en tout cas. Je ne peux pas lui expliquer tout ça. Le désir de l’ouvrir, incontrôlable, le contenu inattendu, le regard de Jed.
« Je… non. Je voulais juste te dire merci pour Paris. Je n’ai pas pensé à te le dire vendredi, mais je te suis vraiment reconnaissant, pour tout ça. Merci Nalvenn. »

Me voilà devant la porte de sa maison, une fois encore. Nous sommes au beau milieu de l’après-midi. Jed est sur le perron, toujours si étrangement semblable à moi, une sorte de gémeau. Il semble un peu interloqué par ma présence, un peu rassuré aussi, même si il s’efforce de n’en rien laisser paraître. Je le suis jusqu’au salon et lui demande où se trouve la boîte. Il me dit qu’il l’a laissée dans sa chambre. Je m’installe sur le sofa, à la même place que la dernière fois. Il me propose une bière (j’accepte), et quitte le salon. Je reste un instant seul, et en profite pour détailler la pièce, les murs, les meubles, les bibelots. Il vit encore chez ses parents, mais je n’ose pas lui demander son âge lorsqu’il revient avec deux bières à la main, qu’il pose sur la table basse. J’espère qu’il les décapsulera lui-même, ne l’ayant jamais fait moi-même. A Paris, Gautier le faisait pour moi à chaque fois, avec les dents, pour me faire rire. Le feras-tu aussi, Jed ?
Il décapsule sa bouteille et glisse l’autre dans ma direction. Raté, je vais devoir le faire moi-même. Ca ne doit pas être bien difficile… En voyant que je ne m’en sors pas, au bout de quelques longues minutes, Jed se propose enfin de le faire à ma place, sans ajouter la moindre remarque qui, à coup sûr, aurait conduit mes joues écarlates de honte à l’explosion. Le goût de la bière recouvre ma langue et mon palais, et les bulles pétillantes font frissonner mon petit intérieur buccal.
« Des nouvelles de Nathan ? »
Jed me fait signe que non sans me regarder. Ni lui ni moi ne comprenons pourquoi ce type nous a réuni autour d’une boîte vide, une boîte pleine de néant. Le contenu zéro. Et pourquoi il nous laisse mijoter ainsi, sans rien nous expliquer. C’en est insupportable.
« Tu n’as rien trouvé à l’intérieur ? »
Une fois encore, Jed me répond d’un geste de tête négatif. Ses yeux se font fuyants, l’espace d’une seconde. Me mentirait-il ?
« Et sinon, s’enquiert-il, tu fais quoi dans la vie ?
- Je suis étudiant. En lettres modernes, deuxième année. »
Je m’apprête à lui poser la même question, mais je suis interrompu par l’irruption de sa sœur dans la pièce. Elle se fige sur le seuil, son regard glissant sur moi un instant, puis sur nous, et enfin sur Jed. Un regard de tempête dans les mers du nord, indéchiffrable pour moi. Elle tourne les talons et nous laisse seuls. Bien. Où en étions-nous déjà ?