Fragment #297 - Le Lac

Merde, je ne comprends pas, où je suis là ? Est-ce que c'est un rêve ? Toutes ces sensations... Jamais cela n'a paru si réel...
Louis entre dans la plonge, son manteau à la main.
« Allez Julian, rentre chez toi va.
- J'ai presque fini.
- C'est bon je te dis.
- Non, je veux finir. »
Louis me dévisage et s'en va sans rien ajouter. Je termine mon travail, récupère ma veste et sort du Dionysos, dont je ferme la porte à clé derrière moi. Il est tard. La nuit recouvre Dijon d'un manteau de silence. Je me dirige vers mon appartement, les mains enfoncées dans les poches. Lac. Il n'y a personne dans les rues de la ville. Même la loge de l'immeuble est fermée. J'entends seulement les bruits de la télévision, devant laquelle le mammouth qu'est Mme Richard a dû s'endormir en ronflant. Les escaliers défilent sous mes pas. Lac. Je manque de tomber. Merde, devant la porte de Laetitia. Des halètements me parviennent à travers la paroi. Je continue l'ascension. Il y a de la lumière dans la chambre de Lilian, je le vois à l'interstice sous sa porte. Alors je frappe quelques coups et entre légèrement.
« Salut frangin, tu bosses encore ?
- Ouais, j'ai encore pas mal de boulot, répond-il, l'air exténué.
- Ménage toi un peu hein, tu seras jamais docteur si tu dors jamais.
- Merci du réconfort, ça fait toujours plaisir.
- Je disais pas ça mécham- oh et puis laisse tomber, bonne nuit. »
Porte qui claque. Je suis un peu énervé, et je me le reproche. C'est lui qui devrait s'énerver, sous le poids de la fatigue et du stress. Mais moi, qu'est-ce qui remplit ma vie au point de déclencher de telles réactions ? Rien. Alors je ressens les affres de la culpabilité.
Je m'allonge sur mon lit sans même prendre la peine de me déshabiller. Aussitôt mes paupières se ferment et éteignent le réel pour mieux m'emporter dans mon Monde.


Je surplombe le lac depuis un tertre rocailleux où pousse de la bruyère. Il fait beau et frais, et le soleil se répand comme des paillettes d'or à la surface du liquide en mouvement. - mon monde.
Au centre du lac, il y a deux jeunes filles identiques et une seule à la fois. Une nymphe blonde et nue face à son reflet. Je ne vois pas son visage, mais d'ici je peux deviner le balancement de ses jambes sous l'eau pour se maintenir en surface, et le bruit des vaguelettes frappant la rondeur de ses seins, la texture des mèches de ses cheveux mouillés dégoulinant de froid contre ses épaules fragiles. Merde, je ne comprends pas, où je suis là ? Est-ce que c'est un rêve ? Toutes ces sensations... Jamais cela n'a paru si réel... Soudain quelque chose gronde dans les profondeurs, et je le ressens en moi, dans mon coeur, mon sang se met à cogner plus fort et à un rythme effréné. De grosses bulles éclatent en remontant à la surface. Et puis il y a un cri, omniprésent, comme l'Oeil d'Anubis fixé sur mon Coeur. Il émerge d'en dessous et déchire l'espace et le temps, pénètre dans ma chair et me transperce de mille éclats de verre. Soudain de la brume se forme sur le lac. Je distingue à peine le silhouette de la jeune fille. Et puis c'est un bouillonnement, des bruits d'eaux et des cris de souffrance.