Altaïr
| Sujet: Fragment #136 - Moi non plus 10.04.08 18:54 | |
| Lundi 13 novembre 2006 à Dijon Ils ont installé les décorations de Noël dans le centre ville. Dans le bus, les visages sont figés, contemplatifs, dans l’opacité maussade de ce temps bruineux et gris. Yeux ronds, ouverts sur des mondes plus colorés que les esprits superposent individuellement à leur horizon perceptif trop terne. Je suis pris au piège entre ces bras et ces jambes, entre ces corps de chairs moites, où d’autres psychismes que le mien sont enfermés. Un cage pour des animaux voués au suicide de leur destinée. Rapproche toi Julian, rapproche toi de nous, ne fais qu’un avec nous, prend part à notre unité, à notre symbiose organique… Non, la ferme, ne me parle pas toi, des tréfonds de mon cerveau, toi que j’ai enterré(e) si profondément dans ma mémoire, sous des tonnes et des tonnes et des tonnes de terre noire. Le crissement de tes ongles qui grattent les strates de ce tombeau où je t’ai enclos(e) me hante et me poursuit. Nous pouvons nous libérer de tout ça, viens avec nous Julian, rejoins la fusion de nos corps emboîtés… Non, ça ne marche pas comme ça. Par l’acte sexuel, nous désirons nous lier à l’alter ego, ne faire qu’un avec l’autre. Mais il n’y a pas de fusion. Tout juste de la bestialité qui monte, une tension palpable, comme une fièvre enivrante qui se répand, telle une liqueur, dans le sang et la peau. Mais pas de symbiose. J’ai senti mon corps contre le tien, j’ai senti mon corps dans le tien. Je n’étais pas toi, tu n’étais pas moi. Aucune libération. Ce qui fait ce que tu es m’est inaccessible, et mon Moi est hors de ta portée. Je suis condamné pour ma vie entière à être moi, à n’être que moi. Merde ! Et si je voulais être un peu de vous, aussi ? Si je voulais vous prêter un peu de ce que je suis, me décharger de cette lourdeur, en échange de quoi je porterais vos propres fardeaux ? L’orgasme. Cristalliser la jouissance pour une seconde d’éternité. Une collusion peut-être ? Non. Je voudrais que tout soit parfait. Je voudrais que ce que l’on appelle « faire l’amour » soit parfait. Faire l’amour. Faire (en sorte que) l’amour (soit). Créer l’amour. Un amour qui n’existe pas de lui-même, qui n’est pas sans nous. Dieu vous aime. Si c’était vrai, quel besoin avait-il de nous le dire ? Ce qui est parfait n’est pas. Je n’ai rien répondu. Je ne sais plus ce que ça signifie, ce « je t’aime », ces mots qui semblent vouloir crier bien plus qu’ils ne sont. Est-ce que je t’aime, Lola ? Mon Cœur, pourquoi sèmes-tu en moi ce doute et cette hésitation ? L’heure est à la trahison. Aujourd’hui l’on s’assemble, aujourd’hui l’on conspire. Un attentat se prépare en moi. L’anarchie de mes démons me plongera dans un chaos sans fond, dans l’abysse de mes ténèbres intérieures. Pardonnez-moi, Lola, Nalvenn, Jed, et les autres. J’ai essayé d’être fort. Je pense à la cuisse de Lola, à cette vibration contre sa peau. Puis sa main extirpant le portable de sa poche, son doigt pianotant sur les touches, et ses yeux, enfin, découvrant le « je t’aime aussi » affiché sur le petit écran. | |
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