Altaïr
| Sujet: Fragment #312 - Post Mortem 14.04.08 1:39 | |
| Jeudi 1er novembre 2007 à Dijon Nous entrons dans le Dionysos, tout habillés de noir, les mines défaites. Certains même ont pleuré et sèchent les yeux meurtris. « Julian, prépare nous un petit remontant s'il-te-plait, me glisse Louis, ça nous fera pas de mal. - Ok, je réponds, tout de suite. » L'enterrement était éprouvant. Voir ce cercueil posé dans la terre et enseveli, et savoir qu'à l'intérieur, il y a un corps, et que dans ce corps il y avait une vie, un monde... Je sers un whisky à tout le monde, les « proches » du vieux Jack. On ne lui parlait presque jamais en fait, mais il était plus souvent avec nous qu'avec n'importe qui. Il faisait un peu partie de la famille. Ca va te manquer, hein ? Ne le dis pas. Pas encore. Nous buvons à la santé de ce bon vieux pirate de Jack. Il s'appelait Jack Kermorgan, il venait de Bretagne. C'était un marin, avant. Un jour en mer, il y a eu une tempête et le bateau a coulé. L'équipage a péri dans la catastrophe et il est le seul à en avoir réchappé, avec cet oeil en moins. Une barre de fer s'était plantée dedans alors qu'il essayait de sauver un de ses hommes. Je ne sais pas pourquoi Louis me raconte ça, pourquoi il a attendu qu'il ne reste plus que lui et moi dans le Dionysos. Ca faisait si longtemps que nous n'avions pas parlé ensemble. « Comment il s'est retrouvé ici, à Dijon ? je demande, fasciné. C'est quand même pas la porte à côté, Brest... - A cause d'une femme, pardi, votre seigneurie. - Waouh. On dirait vraiment une histoire inventée. C'était un vrai personnage de roman ce Jack. Comment elle s'appelait, la fille ? - Michelle. Michelle Malvo. » Je regarde Jack avec des yeux ahuris. « Tu... Tu veux dire... ? - Parfaitement. Tu as compris. Elle n'en parlera jamais, elle ne montrera jamais son chagrin. Peut-être même qu'elle n'en a pas. C'est une drôle de dame tu sais, ma mère. Elle a transmis ça dans la famille, cette force. Mais c'est elle la plus courageuse. - Pourquoi Louis ? Pourquoi est-ce que les gens sont comme ça ? - Comment ? - Je veux dire, on se voit tous les jours, on a l'impression de tous se connaître, et en fait on sait rien les uns des autres. - J'aime pas ce genre de questionnement, votre seigneurie, tu sais bien. La philo c'est pas mon truc, j'aime pas réfléchir à ces histoires d'intersubjectivité et tout ça. » Louis finit son whisky. C'était l'alcool que buvait Jack. Et si je lui disais la vérité ? Après tout c'est mon paton, c'est lui qui m'a embauché quand j'ai découvert que Lola était enceinte, qui m'a fait confiance. C'est lui sans doute qui m'a aidé à tenir le coup, avec ses yeux bleus sans récif. Il a le droit de savoir, non ? J'ouvre la bouche, mais comme toujours, les mots restent bloqués dans le fond de ma gorge. « Bon, fait Louis en désignant les décorations de la veille, et si on enlevait toutes ces guirlandes stupides ? » | |
|