Fragment #325 - Un peu d'amour

Je suis resté à Hillway. Granny a achevé de me tricoter une écharpe mauve virant sur le noir. Elle dit que cette couleur me va bien. Je l'ai embrassée pour la remercier comme j'aurais embrassé ma propre grand-mère. Cette écharpe est jolie, je la porte tout le temps. J'espère que ça ne les dérange pas, que je reste dormir chez eux comme ça, qui plus est dans le lit de leur petit-fils, avec qui je m'envoie en l'air sans arrêt dans toutes les positions possibles et imaginables. Je me sens bien avec Jed. Si bien que je ne suis pas retourné à l'hôtel pour m'expliquer avec Laetitia et récupérer mes affaires. Ca a du bon, de ne pas avoir de téléphone. Comme ça elle ne peut pas me demander où je suis. Je me sens libre. Qu'elle aille se faire foutre, elle et son Mike.
Pourtant il était drôlement mignon...
Andréa aussi était mignon. Jed est mignon. Il y a plein de mecs mignons.
Avoue que ça te fait du bien, de te venger. Elle t'a abandonné à Rome, tu l'abandonnes à Londres... Juste retour des choses ?
Laetitia n'a pas besoin de moi, elle a assez de fric pour faire tout ce qu'elle veut. Je ne suis qu'un jouet pour elle.
Amen.
Le soir, Jed me prête des affaires à lui et m'emmène dans Soho. Il connaît les bars et les boîtes de nuit là-bas. Avec lui je dois faire la queue comme tout le monde pour entrer, je ne passe plus avec les VIP comme avec Laetitia. Je redescends parmi le commun des mortels. A l'intérieur, nous dansons, nous buvons un verre ou deux. Nous nous amusons parce que nous sommes ensemble. Fini la drogue, fini cet état dépravation dans laquelle je me retrouvais chaque matin avec Laetitia, à vomir sur les trottoirs, à ne plus savoir qui j'étais. Nous rentrons chez lui sans faire de bruit, pour ne pas réveiller Granny and Granddad, et Ariane qui veille avec anxiété sur ce qu'il advient de son petit frère. Nous nous embrassons, nous couchons ensemble, nous nous endormons. Ca fait du bien, un peu d'amour. Depuis combien de temps est-ce que je n'avais pas savouré un tel bonheur ?
Depuis Lola...
C'est vrai, personne depuis n'a su me rendre heureux comme ça. Ni l'éphémère Soledad, ni le jeune Justin, ni la méprisante Laetitia.
Tu n'oublies pas quelqu'un ?
Je ne sais pas, je ne me souviens plus...
Allongé sur le lit, mon regard se perd dans l'obscurité. Sur combien de plafonds, combien de ciel de plâtres, nos yeux de plomb rivés, décompteront les astres ?
C'est de moi, ça ? Peut-être que je devrais reprendre l'écriture, finalement. Je passe mon bras autour du cou de Jed.
« Hey, tu dors ?
- Hmmm ?
- J'arrive pas à dormir. Je pense à plein de trucs et... Dis, tu te souviens de l'an dernier ? On se connaissait à peine en fait, quand j'ai... tu sais, avec Jon. J'ai cru qu'on allait jamais se reparler, je me sentais nul, j'ai même plaqué Lola tellement je me dégoûtais, et puis vous aussi vous vous êtes séparés. Et puis il y a eu le jour de l'An chez Christelle, tu te souviens ? C'est comme si tu avais voulu me faire comprendre à quel point j'étais un crétin, et pourtant je me suis obstiné dans mon point de vue. En fait t'avais peut-être raison. Je méritais peut-être de me faire péter la gueule. Parce qu'en fait... je sais pas. On était amis et c'était te trahir que de coucher avec ton mec alors... Enfin, tout ça pour dire qu'il y a un an j'aurais jamais pensé que je me retrouverais dans ton lit comme ça, à me sentir si bien, si proche de toi. Alors je me demande, dans un an, comment ça sera. On peut pas prévoir comment les choses vont tourner, et ça me stresse toujours, mais là bizarrement, je me sens bien, je me détends, je me dis que quoi qu'il arrivera, ça arrivera et je ferai face, tu vois ? Je veux pas me prendre la tête. C'est comme... je ne veux pas penser à Lilian. Ca craint que je sois dans tes bras, à sa place, c'est quand même mon frère tu vois. Mais je n'y pense pas. Et je me sens bien. Je voudrais que ça ne s'arrête jamais et rester là pour toujours. Tu m'écoutes ? »
Jed me répond par un ronflement. Un sourire amusé se peint sur mon visage. Et je ferme les yeux.