Bételgeuse
| Sujet: Fragment #1 - Une journée ordinaire 08.04.08 10:51 | |
| Vendredi 2 juin 2006 à Dijon Un an est passé. Un an déjà. J’ai toujours détesté les dates anniversaires, témoins du temps qui passe, vite, trop vite, qui file entre nos doigts et puis se brise sur le mur des souvenirs. C’est tellement flippant de se sentir marionnette entre les bras brumeux de Chronos, de ne rien pouvoir faire qu’avancer, encore, essayer de profiter de tout du mieux possible. Stop, Sylvia, stop ! Il faut vraiment que j’arrête de me laisser prendre comme ça par mes pensées. Au moins pour pouvoir tenir. Je détourne mon regard de la vitre du bus qui me montre impudemment un ciel gris et nuageux. En face de moi, une petite vieille respire fort. Je déteste les gens qui respirent fort. J’ai l’envie soudaine de me lever et de la frapper jusqu’à ce qu’elle arrête de respirer, mais une seconde après, je me rappelle que ça ne se fait pas, de battre quelqu’un parce que son souffle nous exaspère. Le bus s’arrête, l’atmosphère devient tellement oppressante, entre cette petite vieille qui respire fort, et puis la jeune mère qui ne sait pas tenir ses enfants, et le mec pas loin de moi qui a une odeur bizarre, que je descends, à trois arrêts du mien. Je m’allume une clope, pour me calmer un peu. Putain qu’est-ce qu’il fait froid dans ce pays !! Je crois que le soleil ne s’est pas rendu compte qu’on est en juin. Quelqu’un m’appelle. Dans la rue, quelqu’un crie mon nom. Qui peut bien avoir l’idée saugrenue de m’appeler en pleine rue justement aujourd’hui ? Je ne me retourne pas, j’attends que Benoît pose sa main sur mon épaule. « Sylvia ! dit-il dans un sourire et dans un souffle. - Ca fait longtemps qu’on ne s’est pas vus !! Je t’offre un café ! » Trop aimable. On entre donc ensemble au Café de la Préfecture. Une table est occupée par un jeune couple qui roucoule. Au bar, trois vieillards jouent au tarot, un homme d’une quarantaine d’années avale un petit noir en vitesse. Au fond, une veille édentée nous fixe alors que j’emmène Ben le plus à l’écart possible. Il prend un diabolo. Un diabolo ! Grenadine. Une grenadine pétillante, quoi. Rien que ça, ça me met les nerfs. Je m’allume une deuxième blonde en attendant mon double expresso. Il parle. Je réponds machinalement aux questions qu’il me pose, sans même les comprendre. Quelque chose m’empêche de l’écouter. Le bruit des verres de bière des petits vieux au bar. Leurs rires. Rire me semble être une chose trop lointaine pour que je puisse me sentir comme les gens qui rient. Et puis, une odeur envahit mes narines. Elle vient de la vieille qui parle toute seule, je le sais sans même prendre la peine de tourner la tête pour la regarder. Un parfum écœurant, entre la vieille qui ne se lave plus et l’odeur sucrée de l’amour que dégagent les deux qui s’admirent le blanc des yeux depuis dix minutes. « Excuse-moi, je reviens. » J’ai la tête qui tourne, j’ai l’impression d’avoir trop bu. J’arrive quand même à trouver les toilettes, juste à temps. Là, je me vide de tout ce que j’ai sur le cœur, à force d’entraînement c’est devenu un réflexe, j’ai les larmes aux yeux, comme à l’époque où je m’enfonçais les doigts dans la gorge, je pleure, crache, meurs... | |
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