Sirius
| Sujet: Fragment #8 - La décision 09.04.08 19:17 | |
| Lundi 2 octobre 2006 à Kanazawa En boitillant je me suis dirigé vers les toilettes. A l’allure à laquelle je me déplace et surtout vu la difficulté que j’ai à faire ne serait-ce qu’un mètre debout sur mes deux jambes, il va de soi que j’attends vraiment l’extrême limite pour aller faire mes besoins. Cette fois-ci, j’avais peut-être attendu trop longtemps. J’en oublie presque ma douleur au genou et m’empresse d’ouvrir la porte des cabinets, la pression est intenable. Plus jamais ça ! Cependant, il s’avère qu’une fois assis sur le trône, la sensation est incroyable. En comparaison, je citerais un humoriste connu qui a déclaré que toute la journée il portait des chaussures deux pointures en dessous pour qu’une fois le soir venu il y ai au moins une chose qui le rende heureux de rentrer chez lui : les enlever. Une fois l’extase passée, j’ai laissé libre court à mes pensées les plus folles, tout en trifouillant le clavier. Les toilettes japonaises modernes sont en effet pourvues d’un clavier permettant d’ajuster le souffle d’air chaud qui arrive sur le postérieur, d’envoyer quelques jets d’eau pour nettoyer et autres futilités dont nous autres occidentaux nous passons très bien. Ils sont fous ces japonais ! En tout cas, vous me croirez ou non, on réfléchit mieux quand on a les fesses au chaud. Une des pensées les plus folles qui me traversa l’esprit fut sans doute la suivante : oser. En effet, depuis le début de ma pittoresque aventure je n’ai fait qu’acquiescer, suivre et exécuter. Voilà pourquoi je me retrouve ici au Japon avec mes parents, alors que je ne suis pas du tout dans mon élément, comme un poisson hors de l’eau ou pire, un français en mal de camembert. Depuis mon arrivée je n’ai fait que maladresse sur maladresse. Un mois à peine après mon arrivée au Japon j’ai déjà insulté la voisine de lécheuse de gouttière en croyant lui dire bonjour avec toute la politesse qu’il se doit, perdu mes clefs, me perdre moi-même dans les rues tortueuses de Kanazawa, crever douze rustines de vélo, et enfin trébuché mille fois sur les marches du perron jusqu’à me fendre le genou. Tout ça sans oublier que depuis mon premier pas sur le sol japonais je sais que cela ne me conviendra pas. Mon destin n’est pas ici. La France me manque, elle me manque. Cela fait bien une semaine que je ne lui ai pas envoyé de lettre. J’ai pris soin de ne pas lui donner mes coordonnées et Dieu merci le portable avec le forfait français ne passe pas ici. La série de courrier que je lui ai envoyé m’a permit de lui expliquer en douceur les causes de notre rupture. Mais j’ai fait une grosse erreur. Une énorme erreur. Dans la dernière lettre je lui ai avoué que je l’aimais encore et pire, qu’elle me manquait. Je pense assez bien la connaître pour savoir qu’elle va me pardonner et qu’elle est prête à me revoir. Suis-je lunatique ? Pas le moins du monde. J’ai juste énormément de mal à prendre ma vie en main, et accepter mes propres décisions. J’aurais pu vivre au Japon et avoir un avenir certain. Certainement pas joyeux mais sûr, en devenant associé de mon père puis à terme en reprenant son poste de directeur. Au Japon ce n’est pas négligeable. Je me suis laissé prendre au jeu et convaincre par mes parents, mais au fond de moi ce n’est pas ça que je voulais. Trente minutes passées aux toilettes n’ont pas été de trop pour m’en rendre compte. Ma décision est irrévocable : ma vie est là-bas, dans mon pays natal. Mathieu, à toi de faire preuve de courage. Le temps que mon genou se remette j’échafaude un plan pour retourner en France. | |
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