Aldébaran
| Sujet: Fragment #53 - Souvenirs de Famille 14.04.08 22:24 | |
| Dimanche 17 septembre 2006 à Chenôve « Je croyais qu’American Beauty n’était qu’un film, que toutes les familles ne devaient pas paraître souriantes et joyeuses pour cacher leur mal-être et leurs fractures internes. Il faut croire que si. Du moins pour la mienne. » Nous voilà tous les cinq réunis autour de la table. Enfin un repas de famille digne de ce nom. En face, Ariane me jette son regard noir habituel. Papa et Maman sourient de toutes leurs dents. Ces vacances sur la côte leur ont fait un bien fou. A tous les deux. Je prends le pot d’eau et en sers à tout le monde, je reçois des mercis plus ou moins enthousiastes, plus ou moins amers. Je souris à Ariane et lui fais un clin d’œil. Je ne sais pas comment elle le prend, mais sa bouche se tord en un petit rictus, imperceptible. Vincent sourit beaucoup en ce moment. Je plonge un instant dans ses yeux. Il faudra que je lui parle. Je suis sûr qu’il a une copine, ou qu’il a fait une connerie qu’il trouve amusante et dont il veut se vanter. Je me jure de trouver le temps de l’aborder dans la semaine. Je ferme les yeux un instant et l’imagine bouche collée à une belle brune aux yeux verts entourés de khôl. Sa langue qui joue un instant et ses mains qui la déshabillent… « Jed ? » Maman me ramène à la réalité et à la raison. « Prend encore un peu de pâtes, s’il te plaît. Tu n’as rien mangé. Ça va ? » Oui, maman, ne t’inquiètes pas. Papa émet une idée toute belle et toute neuve. Réunion de famille ce soir. Tout le monde assis sur le canapé, contraints et forcé, devant le lecteur et les DVDs familiaux qu’il a compilés à partir de vieilles cassettes VHS. Devant l’écran noir. Le charme des diapos des années 90 est passé, et nous sommes tous serrés, moi tout contre Ariane, Maman et Papa sur leurs fauteuils respectifs et Vincent assis devant la table basse. « Eloigne-toi de la télé, veux-tu ? » Ariane, pourquoi me rejettes-tu ? J’essaye de prendre ta main, en signe d’amitié renouvelée. Mais tu la relâche lentement. C’est sur ce canapé que Julian et moi avons découvert le contenu de la boîte, et la fourche. Celle que je retrouve sur mon entrejambe droite. Je sens ta chaleur Ariane. L’écran s’éclaire et nous replongeons dans notre enfance. Merci papa… Jed jouant avec sa pelle et son râteau, sur les plages de Normandie. La belle Ariane, un peu plus grande qui lui montre son château de sable et l’invite à rentrer. « On dirait que je serais la princesse et toi mon prétendant. Mais on s’aimerait pas comme ça, il faudrait que tu passes par pleins d’épreuves pour prouver ta valeur. Et après on se marierait. » L’eau qui me lèche les pieds et mes cris assourdissants et mon bob pour me protéger du soleil. Vous faisiez déjà tellement attention à nous. Jed qui regarde la pluie tomber sur la vitre fendillée du F3. « Il pleut à torrent », dit maman. L’est où le torrent ? Mots d’humour qui s’enchaînent, situations cocasses. Et mon père plus jeune. Et ses yeux plus profonds quand il regarde la caméra. Et son regard pour moi, son regard plein d’amour. Puis les premiers pas de Vincent et nos soirées sous tente dans le jardin de grand-mère. Apparition fugitive d’Alex. Ariane me touche la main, me la prend. Alex regarde la caméra, puis me regarde longuement ; nous avions déjà sept ans. Maman, derrière la caméra me demande de l’embrasser pour le remercier de son cadeau. Nous virons tous les deux au rouge. La main d’Ariane toujours dans la mienne et nous qui grandissons, et l’image furtive de père et ses yeux profonds. Et Jed qui maigrit petit à petit et qui grandit. Et ses grands yeux sans fonds. Ses yeux qui cherchent ce qu’ils ne semblent pas trouver et qui croisent l’objectif dans une rencontre de vacuités. Et père qui me tient par la main, ma main d’aujourd’hui qui se crispe sur celle d’Ariane et mes yeux qui virent au blanc un moment. Mes muscles que je ne contrôle plus tout à fait et mes tremblements. Sur l’image père vient me dire bonsoir la veille de mon anniversaire il borde mon lit et me fait un bisou pour me souhaiter bonne nuit. D’un geste de la main il chasse les monstres du placard. Mais les monstres ici passent par la porte. Ma main se crispe encore un peu plus. Ariane pousse un gémissement de douleur. Et les mouvements rapides de mes yeux et mes pieds qui se crispent que je n’arrive plus à contrôler mon rythme cardiaque s’accélère et le minotaure est au centre tout au centre de mon front pile entre les deux yeux et ma main qui broie les métacarpes d’Ariane qui crie plus fort et ma respiration Black-out. | |
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