Fragment # 89 - Grisaille

Tout est gris aujourd’hui. Et cela se ressent sur mon cœur, je suis prisonnier d’un moral gris et froid, d’une brume épaisse qui parcours chacune de mes veines, qui traîne derrière mes paupières et me fait voir la vie en gris. En plus il fait froid.
Je pense à Jonathan, je pense à sa poitrine qui me réchauffe et son regard qui parcourt mon corps à cet instant même alors que nous nous promenons dans Dijon. Nous passons devant la Chouette. Je ralentis, Jon ne comprend d’abord pas pourquoi et il me voit me rapprocher de l’animal, poser ma main gauche sur la pierre froide et polie, mon regard tourné vers le ciel. Regarder la croix tout en haut. Et penser très fort à quelque chose. Mes yeux fermés, mes lèvres entrouvertes marmonnent quelque chose.
« Tu pries ?
- Non, j’espère. J’essaye d’espérer pour nous. Il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. »
Il m’embrasse. Me dit à quel point il m’aime et me trouve adorable, me chuchote dans l’oreille à quel point je suis beau. Je le serre dans mes bras. Très fort. Je ne veux plus le perdre, plus jamais.
J’aimerais bien savoir où tu veux en venir Manon, que cherches-tu à faire ? Que veux-tu de moi ? Il faudra que tu m’expliques, il faudra tout mettre à plat. Je ne peux pas t’aimer, même si tu es adorable ; je ne peux pas te désirer, je n’en ai pas le droit.
Je regarde nos respirations à l’unisson faire des petits nuages de fumée, gris sur gris. Nos organes mêmes respirent le gris, le neutre, la couleur de la non-existence.
Le gris des villes a envahi nos cœurs et jette une buée froide entre ces deux mondes gelés.