Aldébaran
| Sujet: Fragment # 99 - Attends-moi 16.04.08 22:56 | |
| Jeudi 22 mars 2007 à Dijon Rempart de la Miséricorde. Sous la lumière de la lune, quelques femmes, enfermées dans leur manteau, attendent le client. J’accélère le pas. Je ne les regarde pas une seconde. Ne pas les remarquer. J’accélère encore, de toute façon je suis pressé. Jon m’attend. Déjà il doit être à la fenêtre, je suis sûr qu’il a remonté ses stores vénitiens et qu’il inspecte la rue des Godrans. Il doit se demander pourquoi je ne suis pas encore là. Je lui avais dit que je prenais le bus à 22h03, ce qui faisait que je devais arriver en ville vers 22h20. Il est déjà 23h10 et je n'en suis seulement qu’à la place Darcy. Je ne peux supporter d’attendre, j’accélère encore le pas mais sous mon essoufflement je ne peux que ralentir. Je le verrai quand je le verrai, pas la peine d’en faire une maladie. Et puis après, l’étreinte de ses bras, la chaleur des corps-à-corps, sa bouche contre la mienne. Je sais qu’il tourne en rond chez lui, qu’il ne sait pas et ne comprend pas pourquoi je n’arrive pas. Il a allumé la télé, s’est assis, devant la table basse en verre, puis s’est relevé, l’a éteinte, est allé de nouveau à la fenêtre pour voir si je remontais la rue. Il hésite et ne me voyant pas, il s’en retourne vers l’entrée, prend une photo sur le meuble. Jed, Julian, Lola et Jonathan au Wooz. Il repense à nos mois de folie. Il pousse un soupir, repose le cadre. Puis il en prend un autre. C’est moi. C’est moi devant Notre-Dame, arborant un grand sourire. Il se demande où je suis, pourquoi je ne suis pas encore là. Pourquoi je ne réponds pas au téléphone. Mon portable, je l’ai oublié, je m’en veux de ne pouvoir le prévenir de mon retard mais c’était trop tard, si je repassais par la maison je ratais le bus. Papa et Maman qui s'engueulaient dans la cuisine, Papa qui disait que si elle voulait il pourrait repartir à Londres, chez ses parents, suivre Irène. Je les ai écoutés. Ils parlaient de coups de téléphone. Ceux qui arrivaient pendant la nuit avec personne au bout du fil, ceux qui nous réveillaient depuis deux mois. Maman parlait d’une lettre. Une histoire de tribunal. Papa, qu’as-tu fait ? J’ai passé mon temps devant la porte à écouter. Forcément, le temps de prendre ma douche et de m’habiller correctement pour être présentable devant Jon, j’avais loupé mon bus. Rater son bus à cause d’une dispute de ses parents… Ca t’apprendra à écouter aux portes. Je presse le pas, je tourne place Grangier pour commencer à remonter la rue des Godrans. Là-haut, Jon embrasse la photo qu’il a de moi, ou bien serre son oreiller fort contre lui. En tout cas il pense à moi, il n’en peut plus de m’attendre. Demain je recevrai une dizaine de messages sur mon répondeur me demandant ce que je fais, ce qui m’arrive. Il doit déjà s’inquiéter pour moi. Moi je suis déjà devant Autrement Dit, il ne me voit pas encore de sa fenêtre. Je me demande un instant si je ne m’arrêterais pas là, histoire de le faire patienter un peu plus. J’adorerais le mettre en rage, mais là c’est moi qui ne tiens plus. J’accélère encore. Il est à la fenêtre. Je le vois qui me regarde. Là-haut, il se demande pourquoi j’ai tant de retard, mais il est tellement content de me voir qu’il ne se pose plus de questions. Il pense déjà à la manière dont il va me serrer dans ses bras, à ses baisers dans mon cou, à la chaleur de ma peau, à la vigueur de mon Désir quand il me déshabillera, en Idole sanctifiée. Il pense déjà à notre emboîtement, notre compatibilité, à la sueur sur nos corps. Il pense déjà à nos bouche-à-bouche parfaits dans la pénombre installée par la lune. Je ne peux le faire attendre plus. Je pose mon index sur le bouton de la sonnette. Au numéro 5 de la rue des Godrans. Mon cœur bat plus fort. Au-dessus, quand il appuie sur l’interphone, le sien se met à l’unisson et nos battements rythment ma montée des escaliers. Marche après marche. Souffle après souffle. Soupir après soupir. Tout en haut, nos respirations se retrouvent, nos sangs se mêlent dans un baiser fougueux. Je me colle contre lui. La porte se referme derrière nous. Je repense à l’attente. Corps ; peaux ; lèvres ; langues. Tout se mélange dans l’harmonie retrouvée. | |
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