Altaïr
| Sujet: Fragment #71 - Les Liens du Sang 09.04.08 20:09 | |
| Jeudi 31 août 2006 à Dijon Coup de fil de Maman, alors même que j’essaye de me plonger à nouveau dans l’écriture. Non Maman, tout va bien. Je n’ai pas donné de nouvelles depuis dimanche parce que je n’ai pas eu le temps, mais tout va bien. Que t’arrive-t-il Maman, pourquoi te mettre dans cet état ? Quelle est cette sourde rage qui fait vrombir ta voix de larmes ? « Pas un coup de fil en deux mois, pas de nouvelles, rien ! Heureusement que la petite Nalvenn est passée me rassurer, qui s’occuperait de moi hein ? Entre ta belle-sœur qui s’accapare mon fils et ta nièce, ton frère qu’on ne voit plus à la maison, ton père qui ne sort jamais de son bureau… et moi je suis toute seule au milieu de quatre hommes qui ne pensent jamais à moi, pas même à me demander comment je vais, juste ça. Je vous entend dire que les « ça va » en début de conversation ne veulent plus rien dire, qu’on ne se soucie même plus de l’état de la personne ; moi j’aimerais qu’on me demande si je vais bien, juste pour pouvoir croire qu’on s’intéresse à ce que je deviens, toute seule dans ma cuisine. J’en ai marre Julian. Marre de ton absence, marre de tes silences. Tu ne nous aime pas ou quoi ? Même quand tu es là, je ne te vois pas parmi nous. Tu nous fuis, tu nous fuis tout le temps. J’aimerais que… j’aimerais que tu sois là, vraiment là. Pas un fantôme. Un jour je serai morte Julian, ton père aussi. Profite de nous maintenant, profite de ceux que tu aimes avant qu’il ne soit trop tard ! ». Comme je te déteste, Maman. Je déteste cette culpabilité que tu instilles en moi, comme un sinistre poison, alors que tout va bien, que je mène ma petite vie tranquille. Peut être même n’ai-je jamais été aussi heureux que maintenant. Pourquoi faut-il que tu viennes jeter cette ombre sur moi ? L’ombre du plus terrible des vertiges, celui du Temps qui passe et nous rend finis, qui nous vieillit et pétris nos corps malades jusqu’à la désintégration. Tout va bien pour moi, mais je sais que tu as raison, je le sais mais jamais, jamais Maman, jamais je ne te le dirai, parce que je suis trop fier pour ça, et parce que je t’en veux, à toi et à vous tous, de me rendre ainsi coupable face à mon reflet. Coupable de vous fuir, parce que vous aimer serait m’exposer à la tristesse de vous perdre. Je veux briser les liens du sang qui me lient à vous. C’est trop dur. Nous sommes si loin maintenant. Vous ne pouvez pas comprendre ma vie, et je ne veux pas comprendre la votre. Nous sommes si différents. Et te dire que je ne veux plus que tu me rendes ainsi coupable, je sais que cela te fera mal, et d’entendre ces mots sortir de ma bouche, trop tard, tu souffriras aussi de cette conversation, tout autant que moi, ce qui ne fait qu’accroître ce sentiment infect qui nous empoisonne, le mal de l’Homme face à son destin, son antique culpabilité. Voici mon Orestie.
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