Fragment #11 - Tension, quand tu me tiens...

De retour aux enfers de la fac. Aujourd’hui, je n’ai qu’un cours, mais j’ai quand même dû me lever pour y aller. Parfois je me dis que je suis trop sérieux, ou peut-être pas assez finalement…
J’arrive devant le bâtiment immense, où le vent me prend de côté, comme à chaque fois. Je pousse la porte, et me retrouve dans ce hall qui semble ne jamais finir. Les néons alignés au plafond haut semblent avoir du mal à éclairer ce petit fief des Ténèbres. Sur les côtés, des cases quasi-obscures abritent des individus au teint pâle, certains au visages bleutés par leur écrans d’ordinateurs portables. Tous me regardent passer, d’un air étrangement neutre. Je continue mon chemin parmi ces zombies, tel Mickael Jackson dans son célèbre clip « Thriller ». Et comme lui, petit à petit, je me transforme aussi. Je vois mon reflet dans la vitre d’un tableau d’affichage désaffecté : ce même teint pas très frais, ces joues creuses à cause de la lumière qui provient du plafond. Je bifurque à droite pour prendre la direction des sous-sols. Je passe devant la machine à café désertée, pour entrer dans une sorte de parking sous-terrain. Je me suis habitué à cette odeur de béton, à l’obscurité et aux dédales de ce labyrinthe. Me voilà arrivé à notre salle de cours. Merde, la porte est fermée ? Ils sont déjà rentrés, et je suis (encore) en retard.
J’entre sans toquer, et m’excuse brièvement auprès de la prof méprisante. Je m’assois à côté d’un camarade dont je ne connais même pas le nom, et le salue, comme à chaque fois. « On a commencé le TD 10 » me murmure-t-il. Etrange, cette complicité qui s’instaure entre les étudiants, même lorsqu’ils ne se connaissent pas. Sans doute une sorte de repli face à la prof tyrannique, ou quelque chose qui ressemblerait à de la solidarité. Les deux heures sont longues. Les élèves grattent le tableau noir tour à tour. Elle m’y a envoyé hier, elle recommencera pas. « Monsieur Gardesang ? ». Un bref saut d’adrénaline me parcoure. Je fixe la prof à travers deux pointes d’ébène. « James Gardesang ? ». Je répond un « oui » bref. Elle s’approche de moi, et me tend quelque chose, que je n’arrive pas à voir, paralysé par sa présence physique. « On m’a dit de vous donner ça, vous passerez à la scolarité ». Ce n’est qu’une convocation. Je retombe sur le dossier de ma chaise. Bon sang, c’est que je voulais pas passer au tableau, moi !
Le cours se termine, nous égrainons les dernières minutes. Je remonte à la surface, après ces deux heures d’apnée mentale. Je me rends à nouveau dans le grand hall peuplé de fantômes, et me dirige vers le bureau de la scolarité. Coup de chance, il y a quelqu’un. Re-belote, personne n’attend avant moi. Je m’adresse à la personne assise à son bureau, en lui disant que j’ai été convoqué. « Ah, c’est vous… ». Oui, c’est bien moi. « Vous avez été absent à deux examens de suite ». Deuxième saut d’adrénaline de la matinée. « Comment ? Mais, je n’ai pas été prévenu ! Je passe devant le tableau deux fois par jour ! ». Je reprends mon souffle. « Eh bien, c’est toujours affiché, vous pouvez aller vérifier ! ».
Après m’être arrangé avec les profs pour trouver une nouvelle date, je me rends au tableau. Il y aurait des informations qui m’échappent ? J’aperçois clairement les deux listes avec mon nom dessus. J’ai bien raté ces examens pratiques. Bien, j’ai dû ne pas les voir quand je suis passé la dernière fois. Cette solution, bien que la plus probable qui soit, me semble louche. Je hausse les épaules, et fais demi-tour.