Fragment #22 – Petit-déjeuner

Grégoire ? Mince, cela me fait bizarre de prononcer ce nom… Grégoire, est-ce que tu as fini ? Grégoire sort de la salle de bain torse nu, une serviette de bain à tissage très serré (très absorbante et moelleuse, si besoin est de le préciser) autour de la taille. Je constate à quel point il est beau. Ses mèches châtain clair qui tombent sur son front lui donnent un air rebelle et masquent sa blessure qui était plus impressionnante que grave. Il me sourit. Pour la première fois, j’évite de regarder un garçon dans les yeux. Je me sens intimidé et honteux. Je rentre dans la salle de bain et me déshabille. Quand je suis sous la douche, je peux entendre que Grégoire a mis de la musique. Radiohead. Est-ce possible ? Le groupe préféré de l’autre Grégoire. Mon cœur se serre. Je me frotte le corps avec mon gel douche au cacao et l’odeur m’apaise. Je l’entends chanter. Quand je le rejoins dans le salon, il est allongé par terre, la serviette encore autour de la taille, et il chante, les yeux fermés.

Tu dois faire quelque chose aujourd’hui ?

Il ne m’avait pas entendu et sursaute.

Non. Rien. Et toi ?
Non. Je prends mes fonctions dans un peu plus d’une semaine.
Ah oui ? Tu es en vacances ?
Si on veut.
Comment ça ?
Je reviens de Floride. Enfin, cela fait un mois. J’ai travaillé là-bas.
Super ! Ca a dû être génial !
Oui.
Et tu fais quoi depuis que tu es rentré ?
Rien.

Silence. We hope that you choke, that you cho-o-o-ke.

Il est vraiment sympa ton appartement.
Oui.
Vraiment très aéré et lumineux. Bon, OK, la déco est un peu…comment dire… froide, mais c’est sympa. Tu le loues combien si ce n’est pas indiscret ?
Je ne le loue pas ; il est à moi.
Ah ouais ?! Tu as de la chance.
Tu habites où ?
J’habite dans le coin. Je suis en colloc. D’ailleurs, il faut que j’appelle mon amie.
Ah.
Oui, elle va s’inquiéter.
Elle ? Ah, OK. Tu as un téléphone ou tu veux utiliser le mien ?
Je peux ?
Oui, bien sûr.

Je me lève et prends un de mes téléphones.

Tiens.
Merci.

Il se lève. Je frissonne : sa serviette descend légèrement et je devine les poils de son pubis. Il passe une main dans ses cheveux et compose le numéro de son amie. La conversation est rapide, presque froide : salut, je ne rentre pas aujourd’hui, t’inquiète, je t’appelle plus tard, je t’expliquerai… et d’autres choses que je n’écoute pas, parce que je vais dans la cuisine préparer quelque chose pour déjeuner. Il n’y a pas grand-chose à vrai dire. Je réussis à réunir quelques madeleines, du thé s’il en veut, du café, quelques yaourts et du lait. Je vais déposer le tout sur la table de la salle à manger.

Je suis désolé, je n’ai pas grand-chose.
Pas grave, j’ai pas trop faim.

Il me regarde fixement. J’allume une cigarette, mal à l’aise.

Tu ramènes souvent des gens chez toi ?
Non. Enfin, cela dépend.

Je mens mal.

Ouais. Ca n’a pas d’importance tu sais.
Je sais.
Tu n’es pas très bavard comme gars.
Non, pas très. Enfin, cela dépend.
De quoi ?
Des gens, de la situation. Si j’ai des choses à dire.
Tu n’as rien à dire alors ?
Pas vraiment. C’est grave ?
Pas vraiment, non.

Nous restons-là à nous regarder pendant de longues minutes. Il prend une madeleine et la trempe dans son bol de lait. Quand il mange, il fait plein de bruits. Je trouve cela charmant.