Alioth
| Sujet: Fragment #25 – Vue d’en haut 31.05.08 0:08 | |
| Vendredi 30 mai 2008 à Paris Plus jeune, je me rappelle que c'est arrivé à plusieurs reprises. Je me rappelle, par exemple, cette fois où je traversais la place du Panthéon et que j'ai ressenti comme un vide total. Et, brusquement, cette impression de me voir d'en haut. J'avais essayé de l'expliquer à ma mère, mais elle ne comprenait pas vraiment. Oui, je me voyais d'en haut, je me voyais marcher, comme si je n'étais qu'un pion parmi tout ce monde. Il y avait des étudiants, ici et là, il y avait des hommes, des femmes, les flics qui gardent les appartements de ministres, et il y avait moi au milieu de toute cette foule qui traversait la place. Dans ces moments-là, je me disais toujours : en fait, le monde est une vaste fumisterie. World is a stage comme disait Macbeth. Oui, c'est cela : les choses se passent autour de toi comme si cela pouvait t'arriver aussi (comme des exemples, des possibilités de) et finalement ce ne sont que des perceptions, des faux semblants. Et puis Grégoire est mort et j'ai compris que la mort existait. Et le grand chagrin, le grand vide qui va avec. Et puis des mecs m'ont quitté sans que je ne comprenne pourquoi et j'ai compris que la trahison, l'abandon existaient.
Aujourd'hui, en descendant les marches pour rejoindre les bords de Seine, avec ce lierre qui s'étend tout le long sur les murs de pierre et donne au décor un je ne sais quoi de romantique, je me vois d'en haut. Personne n'est mort pourtant, hein ? Pourquoi cette question idiote ? Je tourne sur la gauche et le vent fouette mon visage ; un bateau-mouche passe près de moi et des gens me saluent du pont ; un homme avec un chapeau et portant un long imperméable marron crème marche sur le pont et j'ai une vision fugace de Mitterrand se promenant. Tout cela, je le vois comme si j'étais en haut : le bateau, le faux Mitterrand, les gens qui font coucou et le lierre qui s'étale sur les murs. Et moi, marchant sur les pavés. Et moi l'apercevant au loin, assis sur un banc, à fumer sa cigarette, ses mèches agitées par les coups de vent. Il est beau. Je comprends alors pourquoi cette impression de vide, cette sensation de me voir d'en haut : je crois que je ressens quelque chose de fort pour ce garçon que j'ai failli tuer il y a quelques jours. Il lève la tête, m'aperçoit, me fait un large signe de la main plein d'enthousiasme et j'accélère le pas.
Je suis désolé, j'ai mis un peu de temps. Tu ne m'embrasses pas ?
Je dépose un baiser sur ses lèvres fraîches. Mardi soir, nous avons fait l'amour. Pour la première fois (je ne compte pas cet épisode dans la cabine sombre). Le baiser s'attarde, nos langues se rejoignent. Il a un goût sucré. Quelqu'un passe derrière nous. Murmures. Je regarde la personne : c'est un vieux d'une soixantaine d'années.
Pourriez faire vos dégueulasseries ailleurs, hein !
Certes, dit Grégoire en haussant les épaules. Et comme il voit que je veux répondre, il m'attrape le bras : allez, viens, on marche. Et nous marchons tout le long pendant une dizaine de minutes sans mot dire. J'allume une cigarette et en propose une à Grégoire.
Tu m'as manqué depuis deux jours.
Je sursaute presque.
Ca t'étonne ? Euh..oui...enfin, non...enfin... Je n'ai pas l'habitude de manquer aux gens. Tu m'as manqué ! Je ne savais pas quoi faire. Je me suis emmerdé chez moi. Et ma colloc est chiante. Chiante à en mourir.
Je souris.
Dis-moi quelque chose. Oui ? Est-ce que je peux rester chez toi ce soir ? Oui, bien sûr. D'accord.
Nous arrivons près du Pont-Neuf.
C'est qui ce Malik ? Pourquoi tu me demandes ça ? Comme ça. C'est un pote. Je le connais depuis, hum, je ne sais plus trop, trois ans peut-être. Vous vous êtes rencontrés où ? Dans un bar. OK.
Silence. Nous regardons un chien courir. Une petite fille court à côté de lui et semble très heureuse.
Malik est complètement à la masse, je dis. Pourquoi ? Je ne sais pas. Il vit dans un autre monde. Il y a des jours où je me demande si je dois le fréquenter. Pourquoi tu dis ça ? Parce qu'il vit dans un autre monde. Genre ? Genre il sort tout le temps, il se drogue tout le temps, il nique tout le temps. Il doit connaître un peu tout le monde dans le Marais pour avoir au moins une fois niqué avec eux. Ah. Et toi ? Et moi... Et moi je ne sais pas. Tu te drogues aussi, visiblement. Oui. Pourquoi ? Je ne sais pas. Parce que j'aime ça. Je ne pense pas en être dépendant. Peut-être pas. Tu penses que c'est mal ? Je n'ai pas d'avis. Je sais que si tu passais ton temps à te droguer, j'en aurais vite marre. J'imagine… On rentre ? D'accord. | |
|
Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #25 – Vue d’en haut 31.05.08 1:15 | |
| Se connaitre, peu à peu, c'est perdre ses illusions, c'est détruire le sentiment ? On verra. En tout cas, c'est très intelligent, tout ça, la vision d'en haut, le monde-scène, les possibilités manifestées par les événements extérieurs. Tu es empiriste, Alioth ? :) | |
|
Alsciaukat
| Sujet: :) 31.05.08 11:45 | |
| J'aime bien comme ils se découvrent doucement, en essayant d'anesthésier un peu les mots employés pour Amaury, pour ce qu'il fait... Ptête qu'il va s'en sortir avec tout ça :) | |
|
Procyon
| Sujet: Re: Fragment #25 – Vue d’en haut 01.06.08 21:06 | |
| Et le mieux dans tout ça c'est cette petite habitude que tu prends de nous mettre des citations. Je trouve ça sympa. J'espère que ça va durer les deux ils sont mignons je trouve.
Et Alti, qu'est ce que tu parles bien, tu m'étonnes parfois. | |
|
Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #25 – Vue d’en haut 01.06.08 21:09 | |
| | |
|
Adhara
| Sujet: Re: Fragment #25 – Vue d’en haut 03.06.08 23:38 | |
| Moi j'aime beaucoup cette absence de ponctuation pour les dialogues. Ca aere, ca rafraichit, et ce qui est dit en devient plus direct, plus present, plus immediat. | |
|
Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Fragment #25 – Vue d’en haut | |
| |
|