Fragment #6 - Dans les nuages

« Pardon.
- Je vous en prie. »
Silence.
« Décidemment, j’en veux à votre genou.
- Ce n’est rien.
- C’est souvent ainsi.
- Ce sont les turbulences !
- Pour ça, je préfère le train !
- Que voulez-vous. Les grèves…
- Surtout que Bordeaux-Paris par avion, ce n’est pas souvent.
- Heureusement !
- J’étais, voyez-vous, rentré pour un stupide anniversaire costumé. Résultat, nous avons perdu la chienne, elle s’est enfuie sur l’autoroute. Sale histoire. Mon frère est déjà retourné à Paris, il avait cours, il est à Normale. Moi, je suis resté plus longtemps, et voilà.
- Que voulez-vous. Les grèves arrivent comme l’herpès : sans prévenir.
- J’ai dû chercher la chienne. Finalement, elle est rentrée d’elle-même à la maison.
- Ces bêtes-là sont douées. Les chiens disparus reviennent toujours. Les morts, jamais.
- Les souvenirs, si.
- Parfois non.
- Ils me reviennent pourtant, ces temps-ci. Soirées, musiques, sexe, amitiés, fuite de chiens, voyeurisme.
- Parfois…
- Oui ?
- Je pense à Sophie… Partie il y a treize ans déjà. Ses longues jambes, son chignon, l’été, la plage et le soleil.
- Les heures qu’elle passait sur le sable, à bronzer. Sophie est partie, elle a trop dormi.
- On la retrouvait chaque été, avec sa famille. Il faisait chaud, souvent.
- Elle s’étalait sur sa serviette, nous jouions au ballon avec son frère.
- Je me souviens…
- Parfois elle se baignait. Elle nageait loin. Le cancer est arrivé en décembre. En février, elle était partie. L’été suivant, sa famille ne venait déjà plus.
- C’était trop dur, trop dur de revenir…
- Ce cancer a détruit l’équilibre de la plage, l’équilibre de l’été.
- Plus jamais nous n’avons revu cette famille.
- Peut-être un jour. »