Altaïr
| Sujet: Fragment #86 - Nuages de Plomb 09.04.08 20:26 | |
| Lundi 18 septembre 2006 à Dijon C’est la fin de l’été. Le temps est versatile, entre soleil et nuages. En cette fin d’après-midi, l’étendue du ciel s’est chargée de ciment, une épaisse chape de plomb qui pèse sur Dijon et mon cœur meurtri. Je n’ai pas oublié ton visage. C’est une lourde langueur qui se coule sur moi, m’écrase de son poids, des tonnes de kilos d’angoisse qui prolifèrent au dessus de nos têtes. Je vois l’année qui s’annonce, dans son intégralité, comme une masse grise couleur plomb, un nuage de fer, impénétrable. Il va s’en passer, des choses. Je sais que j’en sortirai différent, comme chaque année, et ça me fait peur. J’ai conscience du fait qu’égrenés au cours de l’année, disséminés jours après jours, les événements seront plus faciles à ingérer, puis à digérer. Mais pour l’instant, ma clairvoyance les perçoit comme un tout et s’enlise dans l’angoisse de mon incapacité à faire face, comme dans une boue noire. Je suis l’haruspice qui fouille de ses mains de dieu dans les entrailles du ciel dépecé, et sonde son futur avec froideur. Je glisse mes doigts entre les boyaux de nuages couleur de plomb, remue les tripes encore chaudes, parcourant de mes yeux indifférents au sang du ciel les jours qui m’attendent. Combien seront-ils, ces jeunes gens qui feront battre mon cœur ? Combien de joies et de peines subirai-je alternativement ? Je nous vois déjà l’un contre l’autre, nous bouches collées, tes mains parcourant mon corps. Je n’ai pas oublié ton visage de dieu. Comment t’appelles-tu ? En passant non loin de la gare, le désir de retourner dans le bar me prend soudainement. Mais Jed et Jon ne pourront pas m’accompagner… Et alors ? Et si j’y allais seul, cette fois-ci ? J’aimerais tant te revoir… Entre les boyaux noirs d’en haut, glissent des rais de lumière qui m’aveuglent. Il y a des parcelles de mon avenir que je ne peux discerner, des pans qui me restent obscurs. Et il y a cette lourdeur, ce poids du ciel qui m’écrase, toutes ces larmes qui ne tombent pas, l’angoisse d’un avenir trop pesant, pesant d’incertitudes et de doutes. Je remonte jusqu’à la place Darcy, puis place Grangier. Je remonte les escaliers de l’appartement pour m’étendre sur le lit, dans mon temple du sommeil. Ce soir, je ne sortirai pas. Pas le cran de me mesurer à toi, mon dieu ; pas ce soir, et pas seul. Je me sens soudain si fragile, je voudrais que tes bras divins m’enserrent, enlacent mon corps, comme Jon le faisait si bien pour Jed, et me blottir contre toi, n’être qu’un pantin entre tes mains de dieu, n’être rien, qu’un jouet entre tes doigts. Mais il y a le ciel et ces nuages de plomb, les vois-tu aussi ? Ils se développent comme un mal qui enfle. C’est l’artifice des jours sombres, le maléfice de mes pleurs à venir. Ca ne vient pas encore, mes yeux sont asséchés. Il n’y a plus d’eau en moi, hormis ces flaques croupies par l’été. J’ai peur. Je voudrais… Mais je ne peux pas. Seul dans ma chambre, petit point sur mon lit. Et tous ces nuages… Je… Je me perds… Je m’endors… | |
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