Fragment #4 - Paternité

Aujourd’hui, un constat s’est imposé à moi comme une évidence : je suis enceinte. Ou enceint, je ne sais pas trop comment on dit dans ces cas-là. Ca peut paraître un peu étrange, mais c’est la seule explication possible à l’hyper sensibilité qui me frappe en ce moment. C’est les hormones, comme on dit. La moindre pensée peut me serrer la gorge, qu’elle soit positive ou négative, pour un peu qu’elle évoque une quelconque émotion, je n’y manque pas. Une mélodie mélancolique, nostalgique, ou tout simplement agréable, un happy-ending film, ou au contraire l’issue tragique d’un téléfilm-drame-social, un compliment ou une remarque désobligeante d’un ami, la contemplation d’un panorama parisien, le fait de me replonger dans un passé proche ou de me questionner sur l’avenir, un article de blog bien écrit, les dernières nouvelles des enfants qui meurent de faim dans le monde, tout est prétexte à déclencher une mièvre effusion de larmes. Je me trouve ridicule. Le Bon Dieu, qui a voulu me punir de mes excès arrogants, m’a métamorphosé en dinde écervelée. Je suis devenu un candidat privilégié au premier rang du plateau du prime time de la Star Academy.

Qui est l’autre père de cet enfant que j’attends ? Il y a malheureusement beaucoup de prétendants au titre ; est-ce que je peux le faire adopter, à titre collectif, par toute la communauté gay de Paris ? Est-ce un garçon ou une fille ? Je pense qu’il est trop tôt pour le dire, et puis je n’ai pas encore eu d’échographie. Il faudrait que je prenne rendez-vous chez un gynécologue pour en discuter. Peut-être qu’il a déjà entendu parler de grossesse masculine ? Est-ce qu’un gynéco peut accepter un patient mâle ? A-t-il le droit de me faire interner pour ça ?

Non, tout compte fait c’est une mauvaise idée. Je ne dirai rien à personne, dès que ça commencera à se voir j’irai me retirer dans un couvent au fin fond de la campagne, et j’accoucherai dans le secret le plus absolu (afin de ne pas gêner la parenté et de ne pas déchaîner les foudres de la société contre moi) d’un monstre unique en son genre, complètement névrosé par les secrets de famille, ce qui en fera sans doute un sociopathe, et j’en confierai l’éducation à une cousine stérile qui prétendra avoir adopté un enfant de la DDASS.

Me voilà rassuré, mon plan est parfait. Mais soudain, une angoisse : je vais vraiment devoir arrêter de fumer et de boire ? Il me semble que ce n’est pas très bon pour le bébé, je me trompe ? Ca expliquerait donc le rêve, sans aucun doute prémonitoire, que j’ai fait cette nuit. Car une chose est sûre, cet enfant sera gravement malade : je tenais dans mes bras un bébé, âgé de six mois environ, sans aucun doute le mien, car je ressentais pour lui un très fort attachement, que j’arrive difficilement à décrire avec des mots ; il avait un net type asiatique, je pouvais même précisément dire qu'il était Cambodgien. La majeure partie se son visage disparaissait derrière un effrayant essaim de boutons rougeâtres, d’aspect assez « inédit », qui m’évoquaient une plaque de Lego, mais dont les picots seraient encore plus rapprochés les uns des autres. Cette maladie étrange ne faisait que renforcer l’amour profond et le désir de protection que j’éprouvais pour lui.

Et voilà, le souvenir de ce rêve recommence à me faire chialer. Merde. Faut que je repasse au Franprix, je n’ai plus de kleenex.